Dans la basilique Saint-Pierre de Rome repose pour l’éternité le cardinal d’York, Henri-Benoît Stuart. Une vie d’exil pour le dernier des Stuart, prétendant d’une couronne perdue par les affres de l’Histoire.
La basilique Saint-Pierre de Rome est un important lieu de pèlerinage de la cité du Vatican. Chaque année, elle draine des centaines de milliers de touristes venus se recueillir et apprécier le fabuleux patrimoine artistique qu’elle recèle. Bien peu s’attardent pourtant devant un cénotaphe en forme d’obélisque tronqué et qui trône majestueusement dans la nécropole funéraire des souverains pontifes.
Le lieu de repos des derniers Stuart
Sur ce monument, on peut y apercevoir le profil de trois personnages dont l’un fait face aux deux autres. Le tombeau est orné d’un blason royal qu’un œil averti reconnaîtra très rapidement : celui des Stuart. La présence de ces princes royaux dans l’enceinte consacrée ne doit rien au hasard. C’est le pape Pie VII qui a souhaité donner à ces rejetons une sépulture digne de leur rang. Derrière une porte fermée, veillée par deux anges dénudés, reposent pour l’éternité le « vieux prétendant » et ses deux fils, les princes Charles-Edouard et Henri-Benoît, ultimes rejetons d’une dynastie déchue qui a tenté de reprendre une couronne dont elle a été privée par la Glorieuse Révolution de 1688.
Un mariage qui prend l’eau
C’est à Frascati, la ville qui a donné le plus de papes aux Etats pontificaux, que le dernier des Stuart a décidé de finir ses jours. Il est le second fils du prince Jacques (III) Stuart et de la princesse Marie-Clémentine Sobieski. Prénommé Henri, il doit son second prénom au pape Benoît XIII dont il est le filleul depuis sa naissance le 6 mars 1725. Dans ses veines, coule le sang de ses ancêtres qui ont régné sur l’Écosse (berceau de sa maison), la Grande-Bretagne et l’Irlande. C’est tout naturellement qu’il va être élevé comme un prince royal au sein d’une famille condamnée à l’exil et où règnent les tensions familiales. Jacques et Marie-Clémentine ne s’aiment guère. Au fil du temps, le père du prince Henri-Benoît a fini par abandonner ses rêves de reconquête du trône, qu’il laissera volontiers et plus tard à son fils aîné, le prince Charles-Édouard. La petite-fille du roi Jean III de Pologne a un caractère bien trempé et s‘agace de ces courtisans qui ne cessent de tourner autour de son mari et de cette attitude paresseuse qu’il a adoptée.
La naissance de leur cadet a été d’ailleurs une énième source de dispute. Lorsque Jacques Stuart décide de nommer Jacques Murray, comte de Dunbar, précepteur de leur fils, Marie-Clémentine s’enflamme. Elle ne veut pas entendre parler de cette nomination et menace de quitter son royal époux. Sa colère est moins dirigée sur le comte que la sœur de ce dernier, Charlotte Murray, la maîtresse du prétendant. En dépit des injures quotidiennes dont Marie-Clémentine l’affuble régulièrement, publiquement, Jacques n’entend pas fléchir. Il espère même qu’elle va partir loin de lui et lui permettre de revenir à un célibat dont il se serait bien accommodé toute sa vie si les contraintes dynastiques ne l’avaient pas forcé à passer l’anneau au doigt de la fille du roi Jean III Sobieski. Marie-Clémentine finit par partir de Rome où les deux époux vivent, après des années d’errance dans les territoires du Pape, et se réfugie dans un couvent. L’affaire fait grand bruit et met le Vatican dans une situation délicate. D’autant qu’elle a laissé ses deux enfants à la charge de Jacques Stuart, dont Henri-Benoît encore dans les langes.
Le prince Henri-Benoît va grandir avec la seule image de sa mère sur une gravure. En 1726, Jacques Stuart autorise ses deux fils à visiter leur mère. Il faudra encore attendre un an avant que les deux époux acceptent de se réconcilier grâce à une médiation du Saint-Siège agacé d’être le centre d’attention des différentes cours d’Europe. Dans la réalité, les époux vont vivre séparés, continuant de se regarder en chiens de faïence. Pire, la princesse plonge dans la dépression, devient une adepte de l’ascétisme et une dévote effrénée. Elle ignore presque son second fils, reportant son seul amour sur Charles-Edouard que ses partisans, les jacobites, appellent le « prince de Galles ». Tant est si bien, que faute de se nourrir, elle tombe malade et meurt en 1735, âgée de 32 ans.
Culloden, le chant du cygne des Stuart
Avec l’installation des Hanovre sur le trône de sa famille en 1714, Jacques comprend très vite, au gré de ses infortunes, que son retour paraît improbable. La mort de Louis XIV l’année suivante l’a privé d’un grand soutien. Même si les deux nations restent ennemies, Versailles ne souhaite plus avoir ces Stuart dans les pattes. Pour Charles-Edouard, l’héritier en titre, il en va autrement. Il sait que sa famille est toujours reconnue en Écosse et en Irlande, la partie la plus catholique du royaume qui accepte mal la férule des protestants hanovriens. Tout à la fougue de sa jeunesse, « Bonnie prince Charly » subjugue par sa beauté, ses cheveux roux de feu et ses yeux bleu ciel, la finesse de ses vêtements, mais déçoit par son comportement d’alcoolique notoire. Ses beuveries en compagnie du beau sexe sont notoires. Charles-Edouard est un prince actif. Il brûle de débarquer sur les terres de ses ancêtres et de marcher sur Londres. Une première tentative échoue en 1744, faute à la France d’avoir pu mettre à la disposition des Stuart une flotte digne de ce nom. La seconde se révèle plus fructueuse. Grâce aux joyaux de la couronne de Pologne, il achète une quantité d’armes et rassemble autour de lui une solide troupe qui se lance à l’assaut de l’Angleterre.
La bataille de Culloden en avril 1746 est le chant du cygne des Stuart. L’aventure avait pourtant commencé sous les meilleurs auspices. Charles-Edouard était devenu une vraie menace pour le pouvoir des Hanovre. Le « jeune prétendant » avait réussi à obtenir l’appui du roi Louis XV pour l’aider dans sa marche vers son trône. Il se rêvait déjà en régent d’une monarchie restaurée. Mais la France ne respectera pas ses promesses et finit part abandonner Charles Edouard qui est stoppé par les Anglais à Derby. Même au sein du mouvement jacobite, on doute du prince tant sa réputation de noceur contraste fortement avec ses talents de militaire. Dans la plaine écossaise, la bataille est une vraie boucherie. Le fils du roi George II, le duc de Cumberland, fait preuve d’une sauvagerie sans limite pour mettre fin à cette rébellion en kilt : maisons des partisans du prince incendiées comme les récoltes, les gentilshommes promptement exécutés ou déportés dans une île lointaine, les blessés achevés à la baïonnette par les tuniques rouges de Sa Gracieuse Majesté. Charles-Edouard doit s’enfuir et rejoindre Paris où il retrouve Henri-Benoît qui l’attend. C’est la dernière grande aventure des Stuart que l’histoire jacobite va réécrire comme une expédition romanesque, quitte à magnifier son prétendant devenu l’ombre de lui-même.
Robe de bure pour le prince Henri-Benoît
Entre les deux frères, une incompréhension va progressivement s’installer. Charles-Edouard reproche à son cadet d’avoir peu fait en sa faveur à Versailles et s’agace de ses excès de piété. Le « jeune prétendant » est amer, torturé, honteux et regarde ses heures de gloire avec nostalgie. Il ressasse sa folle cavalcade tout en essayant de comprendre pourquoi il a échoué. Son père l’accable et le rend responsable de cet échec. Les relations entre les Stuart vont s’aggraver avec le départ précipité et secret de Paris d’Henri-Benoît en 1747. C’est depuis Rome qu’il annonce à son aîné qu’il a décidé deprendre la robe cardinaliste. Dans cette nouvelle affaire, Jacques est à la manœuvre. Il a convaincu les autorités ecclésiastiques de nommer le duc d’York à cette charge, privant ainsi Charles-Edouard de toute chance de nouveau débarquement sur ses terres. Le « prince de Galles » évoque une trahison et se console dans le bras de jeunes aristocrates françaises, source de scandales comme sa relation avec sa cousine Marie-Louise de la Tour d’Auvergne, mariée à un Rohan-Guéménée, à qui il fera un enfant mort-né.
Henri-Benoît suit de loin les frasques de son frère. Charles-Edouard, malgré une pension substantielle versée par Louis XV, s’endette. Il finit par être expulsé manu militari de Paris en 1748 après avoir résisté aux ordres du roi Bourbon qui lui a demandé de quitter le royaume. De folles équipées en tentative désespérée de se faire reconnaître, Charles-Edouard perd peu à peu le sens des réalités et va même se convertir au protestantisme en 1750. Il espère rallier les déçus des Hanovre. Ses relations avec Henri-Benoît sont catastrophiques, alors que parallèlement ce dernier tente d’intercéder en sa faveur auprès du pape Benoît XV. La mort de Jacques III en 1766, à 77 ans, place Charles-Edouard dans le rôle de prétendant officiel à la couronne et son frère, de facto, son héritier. Mais pour le Vatican, il n’est pas question de reconnaître une telle position. La fin de vie du « jeune prétendant » ressemble à celle d’un clochard ravagé par des années d’alcoolisme. Il traîne désormais derrière lui plus de scandales que de faits de gloire. Sa mort en 1788, à 67 ans, passe presque inaperçue. Le Vatican lui refuse des funérailles royales obligeant le prince Henri-Benoît à rapatrier son corps à Frascati.
Henri IX, roi « in waiting »
Pour le cardinal d’York, rien ne va changer. Mais pour ses partisans, il est le roi Henri IX et il se met dès lors à signer ses courriers d’un « Henry R » (pour Rex). Pour les Hanovre, Henri-Benoît n’est pas une menace. Le prince préfère de loin mener à bien sa mission religieuse que de s’emparer d’une couronne solidement attachée sur la tête de cette dynastie. Généreux, influent, chancelier de Saint-Pierre, le cardinal d’York est réputé pour le sérieux de ses travaux. Dans le conclave qui va élire le pape Pie VII en 1800, son ombre a été déterminante dans le choix du pontife. Le Stuart a établi des réseaux dans l’Europe entière, notamment en Espagne et à Naples. Il marque par son caractère de partage.
La Révolution française qui éclate n’est pas une bonne nouvelle pour le prince. Elle lui fait perdre en 1790 ses revenus en tant administrateur de nombreuses abbayes. Le voilà sans le sou, pris dans la tourmente des guerres avec un jeune Napoléon Bonaparte qui menace son paisible exil. Son nom va pourtant circuler lors de la rébellion irlandaise de 1798. Très curieusement, le Directoire français songe au cardinal afin de lui mettre une couronne sur la tête si l’expédition qu’elle finance remporte le succès qu’elle mérite. Ce sera un désastre.
Il faudra attendre l’accalmie de 1801 pour que la question des revenus d’Henri-Benoît refasse surface. La solution va venir de Londres. Grâce à l’ambassadeur de Venise, le prince-cardinal va recevoir du roiGeorge III une rente annuelle de 4000 livres sterling. Acte de charité ou acte de justice, cette décision divise les jacobites. En fait, la couronne britannique ne fait que respecter un codicille du testamentde la reine Marie, épouse du roi Jacques II. Le bruit des armes s’est éteint depuis des années. Il n’y a plus de raison que la maison de Hanovre retienne en otage plus longtemps ce trésor. Henri-Benoît a vieilli. Il est malade, marche à peine, s’amuse des facéties de son chien, « King Charles », et reçoit volontiers ceux qui viennent saluer « Sa Majesté ». Il s’éteint à son tour le 13 juillet 1807. Jusqu’à la dernière minute, le pape Pie VII a veillé sur son ami, dernier prétendant Stuart.
Le sexe des anges, un mystère qui partage les historiens
Souvent décrit comme un saint, le cardinal d’York aurait connu le péché de chair selon certains de ses contemporains. La sexualité d’Henri-Benoît est cependant sujette à caution. Selon l’écrivain Gaetano Moroni, le dernier des Stuart aurait connu une histoire passionnée « au-delà du raisonnable » avec son majordome, Giovanni Lercari. Tant et si bien que Jacques III, ulcéré, aurait tenté vainement de faire renvoyer le fautif de sa charge afin de protéger son fils. Le scandale est évité grâce à l’intervention du pape Benoît XIV qui fera de Lercari, un archevêque. On prêtera même au Stuart une relation avec Angelo Cesarini, un aristocrate qui restera à ses côtés jusqu’à son dernier souffle. Si divers écrits attestent de ses penchants homosexuels, d’autres évoquent de simples « bromances » sous la robe de bure et qui ne refléteraient pas la réalité des faits. Actuellement, les historiens n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur la réponse à ce mystère.