George V face à la Première guerre mondiale

Si l'on évoque la famille royale britannique, quelle image vous vient en tête ? Personnellement, se sont principalement les palais et dorures, les apparats et grandes cérémonies, les mariages princiers et royaux, comme les deux récents, ou encore le couronnement de la reine Elizabeth II retransmis en direct à la télévision. Ce dernier épisode, seuls les plus âgés d'entre nous s'en souviennent. Pour les autres, il est possible de retrouver les images sur internet, ou d'attendre le prochain couronnement. Le long temps de paix que nous connaissons actuellement en Europe depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, à l'exception de conflits dans les Balkans, a joué un rôle important dans cette construction, puisque c'est ce que nous en voyons le plus. Et nous pouvons nous l'avouer, Disney a joué un grand rôle dans l'image que nous nous faisons des familles royales. Finalement, c'est comme si la famille royale britannique n'avait qu'un rôle de représentation en temps de paix. Mais qu'en est-il quand la nation est en guerre ? Que fait la famille royale, et plus précisément le monarque dans ce genre de situation ? C'est la question que nous nous sommes posés, et nous avons décidé d'en parler à travers l'exemple de George V qui dut affronter le premier des conflits mondiaux.

 

George V, un marin sur le trône

Alors, la question qui va guider notre article est la suivante : durant la Première Guerre Mondiale, quel rôle a joué George V ? Mais tout d’abord, une présentation s’impose. Fils d'Edward VII et d'Alexandra du Danemark, George Frederick Ernest Albert naît en 1865 à Londres. Second fils du roi, il n'est pas amené à régner, mais la mort de son frère aîné en 1892 d'une pneumonie fait de lui l'héritier du trône, ce qui le force à quitter la Royal Navy dans laquelle il servait depuis ses 12 ans. Il épouse en 1893 la princesse Victoria Mary de Teck, initialement promise à son frère Albert-Victor, mariage prévu par la reine Victoria en 1891, ce qui fait d'eux les ducs d'York. De ce mariage naissent six enfants. Il accède au trône en 1910 à la mort de son père, en prenant le nom de George V, jusqu'à sa mort en 1936, à l'âge de 70 ans. Le moins que l'on puisse dire, c'est que son règne fut marqué de nombreux faits marquants, avec le premier conflit mondial en haut du podium. Maintenant que nous avons présenté le monarque dans les grandes lignes, penchons-nous sur le cœur du sujet et intéressons-nous à la façon dont George V a traversé cette guerre.

 

Faire oublier des origines dérangeantes

Lorsque le Royaume-Uni déclare la guerre à l'Allemagne le 4 août 1914, le roi note dans son journal « J'ai tenu conseil à 10h45 pour la déclaration de guerre à l'Allemagne. C'est une terrible catastrophe, mais ce n'est pas de notre faute. Plaise à Dieu que tout cela s'achève bientôt ». Manifestement, il n'en n'a pas plu à Dieu. Et on ne peut pas dire qu'il ait été très clairvoyant sur le sujet, comme beaucoup à ce moment, persuadés que le conflit ne durerait que quelques mois. Cette déclaration de guerre fut en effet une catastrophe tant pour le pays qui envoie sa jeunesse au front, au sacrifice ultime, mais aussi une catastrophe familiale. Quand les deux pays entrent en guerre, ce sont aussi deux familles qui s'affrontent, liées par les liens du sang. Le Kaiser allemand Guillaume II était le cousin de Georges V. En effet, le grand-père paternel du roi était le prince Albert de Saxe-Cobourg-Gotha, ce qui fait que lui et ses enfants portaient les titres de prince et de princesse de Saxe-Cobourg-Gotha. De la même façon, la reine Mary était la fille du duc de Teck, un descendant des ducs de Wurtemberg, et un grand nombre de beaux-frères et de cousins du roi portaient des titres allemands des maisons de Teck, de Battenberg ou encore de Schleswig-Holstein, tout en étant des sujets britanniques. Vous vous doutez bien que si je précise ces liens, c'est qu'ils ont eu une influence sur la famille royale et plus particulièrement sur leur nom. Tout comme en France, un fort sentiment anti-allemand s'est développé au sein de la population britannique du fait de la guerre, sentiment bien compréhensible en temps de guerre. Des membres de votre famille vont au front, se font tuer ou mutiler, ajoutez à cela la propagande et les rumeurs qui circulent sur les atrocités allemandes – fondées ou non – et vous obtenez un rejet de tout ce qui est allemand. Et maintenant imaginez que le pays dans lequel vous vivez est dirigé par une famille dont une grande partie des titres sont allemands et qu'il en va de même pour de nombreux membres de l'aristocratie. Le ressentiment, la haine anti-allemande que vous accumulez se dirige alors, presque naturellement, vers tout ce qui est proche de vous et qui a une consonance germanique. À mesure que la guerre se prolonge, le doute s'installe, on commence à se demander si les aristocrates aux noms germaniques ne sont pas trop proches de l'ennemi. C'est pour faire face à cela et pour démarquer la famille royale britannique de l'aristocratie teutonne, ainsi que pour apaiser les sentiments nationalistes britanniques, que George V prend une décision qui a encore des répercussions de nos jours. Le 18 juillet 1917 il change le nom de la famille royale, Saxe-Cobourg-Gotha, en Windsor, d'après le nom de sa résidence favorite, un château remontant à l'époque de Guillaume le Conquérant. Par la même occasion, il abandonne tous ses titres allemands et confère des titres purement anglais aux membres de la famille royale porteurs de patronymes germaniques. Cet abandon de patronyme et de titres allemands, pour des noms plus anglophones, permet au roi non seulement de distinguer sa famille – et l'aristocratie britannique plus globalement – de celle de son cousin de Kaiser, mais aussi de montrer à tout son peuple qu'il est bel et bien roi d'Angleterre avant toute chose.

 

Un roi politique au coeur de la guerre

L'action de George V durant cette guerre ne s'arrête pas là. En tant que roi, il a bien évidemment joué son rôle dans les prises de décision pour ce qui est de la conduite du conflit ainsi que pour les questions diplomatiques. En effet, une alliance de peuples souverains est bien plus difficile à conduire qu'un seul État jouissant des avantages indéniables de l'homogénéité politique et du commandement militaire unique. Ce dernier point s’avérera être un élément indispensable pour le commandement allié, qui, afin de mieux coordonner son action, donnera le commandement suprême au maréchal Foch en avril 1918, pour ce qui est du front occidental. On lui attribue d'ailleurs la plaisanterie suivante : « Depuis que je sais ce que c'est une coalition, j'admire beaucoup moins Napoléon ! »

Le roi intervient donc plus sur le plan politique que militaire, bien qu'ayant été dans la Royal Navy, ce qui ne l'empêche pas de peser indirectement sur le conflit, en suivant de près son déroulement. Un de ses moyens d'action est par exemple de soutenir un officier, comme il le fera avec le général Haig – puis maréchal – dont il sera le protecteur et ami. À la tête du corps expéditionnaire britannique en France de 1915 à l'armistice, c'est lui qui commanda lors de la bataille de la Somme, la plus meurtrière de l'histoire britannique, lors de la troisième bataille d'Ypres et de l'offensive finale des Cent-Jours. Il est un des commandants les plus controversés de cette guerre. Mais étant protégé par le roi, il est resté en place, quand d'autres auraient peut-être été remerciés. Quoiqu'il en soit, et nous ne réécrirons pas l'histoire ici, George V a joué un rôle indirect dans la conduite de la guerre, et même dans le déroulement de certaines batailles, en permettant à certains officiers de rester en place.

 

George V, vecteur du moral des troupes

Mais la guerre ne se gagne pas sur les cartes ou dans les bureaux – du moins pas uniquement. La victoire s'obtient avant tout sur le terrain, en brisant les lignes ennemies, leur moral, en coupant leur logistique. Et le moral des troupes est un aspect important de ce conflit qui a duré plus longtemps que les quelques semaines prévues par tous les belligérants. Maintenir un bon moral dans la troupe est primordial pour maintenir une bonne cohésion, elle-même indispensable au bon déroulement d'une offensive et permettant de garder la troupe comme une unité. L'absence de moral, de cohésion, de confiance, d'espoir aussi, se traduit sur le terrain par des désertions, des mutineries, des retraites désordonnées. Bref, à tout ce qui conduit à la défaite. On l'a vu au début, au sein de la population, et au sein de l'armée, une certaine défiance avait pu s'installer vis-à-vis de la famille royale, à laquelle George V avait mis un terme en coupant tous les ponts possibles avec ce qui ressemblait de près ou de loin à un titre germanique. Le lien de confiance avait ainsi été rétabli entre le roi et son armée. Il faut dire que jusque-là ils combattaient des Allemands au nom d'un roi qui avait un nom germanique. C'était presque à y perdre son latin.

La famille royale britannique devait avant tout montrer l'exemple dans le conflit, tenir son rôle et montrer son attachement à son peuple et à ses souffrances. C'est dans ce but d'exemplarité et de soutien aux soldats que George V s'est rendu sur le front à plusieurs reprises, a visité des hôpitaux, fait des donations, s'est soumis au rationnement, tandis que la reine Mary multipliait les actions caritatives pour venir en aide aux combattants. Cela peut nous sembler futile, sans aucune prise de risque – même s'il se rendait en première ligne c'était dans des zones sans danger, et sans annonce, pour des raisons évidentes de sécurité – mais la symbolique est forte pour les hommes. Leur roi leur rend visite, s'enquiert de leurs besoins, de leurs difficultés, de leurs joies aussi. Il devient pour certains plus humain, plus accessible, et quitte l'image du roi gouvernant de sa tour d'ivoire sans jamais en descendre. Il vient mettre les pieds dans la boue française, parcourt les boyaux, discute. Pour les soldats, cela leur remonte le moral, leur donne encore plus envie de se battre pour leur roi, pour qu'il soit fier d'eux. C'est le même sentiment qui a parcouru les troupes françaises quand Clémenceau était venu les voir en première ligne, scandant « on les aura ! ».

 

Le roi George V n'a donc pas suivi la Première Guerre Mondiale en tant que simple spectateur. Il en a été en acteur important, parangon d'exemplarité. Ses décisions et actions, avant tous politiques, ont pesé dans le déroulement du conflit, et au moins une a encore une répercussion aujourd'hui. Sans lui, la dynastie Windsor n’aurait jamais pu voir le jour.