Quand l'anti-germanisme habite le Royaume-Uni
Mars 1917, le Tsar Nicolas II abdique et se retrouve aux mains du « Gouvernement provisoire ». Au palais de Buckingham, c’est l’effervescence. Les rapports sur la situation en Russie défilent devant le roi Georges V. Il faut sauver le cousin « Nicky ». Londres et Petrograd entament alors rapidement des négociations pour le rapatriement de la famille impériale Romanov, bien que le premier ministre Lloyd George ait émis au monarque britannique de fortes réserves sur ce projet. Dans les veines des deux souverains, qui partagent une étrange ressemblance physique, un seul et même sang, celui de cette Allemagne que combattent ces deux monarchies en Europe. L’absolutisme russe est détesté des britanniques et le roi le sait. Il craint lui-même qu’une révolution n’éclate en Angleterre et ne provoque sa chute. Il décide finalement de se rétracter et de laisser les Romanov affronter, seuls, leur funeste sort. Dans la foulée, il va prendre une décision lourde de conséquences : celle d’angliciser le nom de sa dynastie. Adieu le Saxe-Cobourg-Gotha trop teuton de sa famille, bonjour à un Windsor plus « so british ». Les autres branches de cette maison pourvoyeuse de rois, reines et de princes(ses) ne tardent pas à suivre. A commencer par les Battenberg dont le destin va être étroitement lié à celui du Royaume-Uni.
Effacer ces origines si dérangeantes à tout prix
« (…) De par notre autorité et notre volonté, déclarons et publions qu’à partir de la présente déclaration notre Maison royale et notre famille seront appelées Maison et famille de Windsor ». Roi de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, empereur des Indes, tout respire le germanique autour du très britannique Georges V. Du nom de sa maison, Saxe-Cobourg-Gotha qui a succédé à une autre sur le trône d’Angleterre tout aussi allemande, les Hanovre, à celui de son épouse, elle-même, d’origine wurtembergeoise. Or, les atrocités perpétrées en Belgique par les troupes du Kaiser s’étalent à la une de la presse anglaise qui crie haro sur Guillaume II, petit-fils de la reine Victoria. Le « va-t-en-guerre » empereur d’Allemagne est détesté des britanniques. Et pour cause ! Les biplans du Hohenzollern qui se sont permis de voler au-dessus de la capitale du Royaume-Uni ont fait des dégâts et des blessés et les manigances de « Willy », le surnom affectif que donne Georges V à Guillaume II, en Irlande, ont fait grimper le sentiment antiprussien parmi les anglais qui commencent à s’attaquer aux magasins des citoyens allemands. Craignant que la crise sociale n’accentue la haine aux casques à pointe, le 17 juillet 1917, Georges V va proposer de couper les ponts avec ses origines allemandes jusque dans les armes de la maison royale et autoriser désormais les membres de sa famille à épouser des aristocrates anglais. Impensable jusqu’ici. Quant à ceux qui ont émigré pour s’occuper de leurs principautés allemandes, ils sont simplement destitués de leurs droits à la succession au trône. Une révolution dans le Gotha mais qui va sauver la monarchie britannique.
Les Battenberg, naissance au coeur du scandale
Les Windsor sont nés ! Les Teck et les Battenberg, deux branches morganatiques des maisons de Wurtemberg et de Hesse, alliées du roi, s’empressent de suivre le mouvement pour devenir les Cambridge et les Mountbatten. Les racines de la famille des Battenberg plongent dans les riches terres de la Hesse profonde. De qui le prince Alexandre (1823-1888) est-il le fils ? Jusqu’ici, le mystère de sa naissance n’a jamais été résolu. Est-il celui du grand-duc Louis II et de Wilhelmine de Bade ou de celle-ci et de son amant, le baron Auguste de Senarcien de Grancy ? Leur mariage a été un désastre dès les premiers jours de leur vie commune. Ils feront chambre à part et le grand-duc aura la délicatesse de ne pas répudier son épouse en dépit de ses 4 grossesses sujettes à caution.
Un parfum de scandale va continuer d’entourer le premier des Battenberg. Sa romance avec la comtesse Julia Hauke, la dame d’honneur de sa sœur la tsarine Marie, le prive de son commandement en Russie et d’un mariage prestigieux prévu avec la fille du Tsar. Alexandre impose pourtant l’amour de sa vie aux yeux de tous avant de l'épouser le 28 octobre 1851. Touché, son frère Louis III décide de donner un rang et des titres au couple avec titre d’altesse sérénissime. Une nouvelle maison vient de faire son apparition en Europe et c’est en Angleterre qu’elle va s’établir, essaimer avec la naissance de 5 enfants. Parmi lesquels on peut citer Louis (1854-1921) et Alexandre (1857-1893).
Un prince charismatique pour se démarquer
Si le deuxième a marqué l’histoire de l’Europe en montant brièvement sur le trône de Bulgarie entre 1879 et 1886, c’est surtout Louis qui va mener sa maison vers le strapontin suprême, marquant les ambitions d’une famille qui lorgne un trône prestigieux. Et pourquoi pas celui d’Angleterre ? Sa grand-mère, la reine Victoria adore ce petit prince qui le lui rend bien. Tant et si bien qu’elle lui octroie la nationalité anglaise à ses 14 ans et va appuyer fermement son mariage en 1884 avec sa cousine Victoria de Hesse–Darmstadt, en dépit de son rang morganatique. Premier Lord de la Mer en 1912, il comprend rapidement qu’il doit suivre la décision du roi Georges V en modifiant son nom. Bien qu’au départ, il ait souhaité celui de « Battenhill », les Mountbatten vont devenir bientôt indissociables de l’histoire monarchique du Royaume-Uni. Et de la Marine. Les Mountbatten cherchent à prendre une revanche sur l’histoire. Le mariage prestigieux de sa nièce, Victoria- Eugénie, avec le roi d’Espagne Alphonse XIII consacre cette famille parmi le plus courtisées d’Europe y compris dans les milieux diplomatiques. Et la plus jalousée. Le prince Louis s’attire les foudres d’un Winston Churchill (alors secrétaire d’état à la Marine) au début de la première guerre mondiale. Il devra son salut au roi qui refuse de le démissionner de son poste. Tout au plus Churchill, qui ne supporte décidément pas ces rejetons de l’ennemi, obtiendra son éloignement. Lassé, le prince finira par demander son retrait de la vie militaire en 1919, compensé par le titre de marquis de Milford Haven.
De ses amours, le prince Louis Mountbatten aura eu 4 enfants. Alice (1885-1969) qui épouse le prince André de Grèce, Louise (1889-1965) qui convole en justes noces avec le roi Gustav VI de Suède, George (1892-1938) qui passe la bague au doigt de la comtesse Nadège Mikhaïlovan de Torby à la réputation sulfureuse, une slave pur jus et une Romanov qui entretint une relation passionnée avec une ses employées. Pour l’anecdote, son arrière- petit-fils, Lord Ivar Mountbatten a été le premier membre de la maison royale à contracter un mariage gay avec son compagnon (2018). Et enfin Louis (1900-1979) qui va épouser la richissime Lady Edwina Ashley. C’est sur les épaules de ce dernier que va reposer le futur de cette maison.
Louis Mountbatten, l'ambition entre ses mains
De Londres à New Delhi, il n’y a qu’un saut d’avion qui va précipiter la bonne fortune de Louis Mountbatten. Il est certainement celui qui va le mieux incarner la volonté de cette famille à vouloir une couronne sur la tête. Officier de la British royal Navy, « Dickie » va briller durant la seconde guerre mondiale. Son amitié très proche avec le prince David de Galles (futur Edouard VIII) va nourrir les chroniques et rumeurs les plus scabreuses. La photo des deux cousins dans un jacuzzi va alimenter les fantasmes d’une liaison qui n’a jamais fait l’objet de preuves tangibles. Ce sont ces mêmes questions qui vont entourer son épouse et sa romance avec le leader du Congrès national indien, Jawaharlal Nehru, confirmée toutefois et récemment par sa fille, Lady Pamela Hicks. Louis Mountbatten, désigné vice-roi puis gouverneur–général des Indes (1947- 1948), va conduire les difficiles négociations qui vont aboutir à la séparation du joyau de l’empire britannique de la mère patrie. Une biographie éloquente et des talents de médiateurs parfois méconnus. Dans la crise qui oppose le comte de Barcelone avec son fils le futur roi Juan- Carlos, il tente de convaincre Juan de Bourbon d’abdiquer en 1969 en faveur de son fils. Il sert même d’intermédiaire entre le roi de Grèce et le président Richard Nixon alors que le souverain renversé tente de reprendre son trône. A-t-il comploté contre le premier ministre Harold Wilson ? C’est une des théories avancées qui affirme qu’il a tenté de se faire élire à la tête d’’un gouvernement d’union nationale avec l’aide de militaires et d’officiers du renseignement MI5. Une affaire mise en exergue en 2006 mais qui n’a jamais pu être prouvée. Mais son plus beau coup politique reste assurément le mariage de son neveu avec la princesse héritière Elizabeth d’York.
Mountbatten, une dynastie bientôt royale ?
C’est un coup de foudre entre la fille du roi Georges VI et le fils désargenté du prince André de Grèce. Philip est né à Corfou en 1921, de 5 ans le cadet d’Elizabeth. Dès le berceau, il vit les soubresauts politiques de son pays. Son père arrêté lors d’un coup d’état en 1922, banni de Grèce avec sa famille, se réfugie à Paris grâce au HMS Calypso qui l’évacue de la patrie de Périclès. A la langue grecque, on substitue au jeune Philip, le français, l’allemand, le danois et bien sur l’anglais. En 1928, il est envoyé en Angleterre, orphelin d’un père qui est en France, une mère recluse dans un asile psychiatrique. L’Allemagne nazie est omniprésente dans la vie du jeune Mountbatten en devenir. Son choix d’armes « La Navy » ! Il est beau, blond, il fascine les femmes et affole les hommes par sa carrure athlétique, peut-être trop d’ailleurs. En 1939, Louis demande à son neveu d’escorter Elizabeth et sa sœur Margaret lors de leur visite à l’école navale de Dartmouth où il a été élève. Toute à ses minauderies d’adolescente, Elizabeth entame rapidement une correspondance avec Philip qui va se poursuivre tout au long de la guerre, sous l’œil lucide de Louis Mountbatten et du roi quelque peu circonspect, notamment en raison de son caractère irascible. Le prince doit abandonner religion orthodoxe et son nom de Schleswig–Holstein trop germanique pour les anglais. Un autre confit mondial est passé par là ! Il pr ??end le patronyme de Mountbatten (après qu’on lui ait proposé celui d’« Oldcastle », traduction d’Oldenbourg) et grâce à l’intervention de son oncle, qui fait littéralement le siège du souverain, obtient la nationalité britannique. Annonce des fiançailles en juillet 1947 puis le mariage, la couronne se rapproche singulièrement des anciens Battenberg. Mais le gouvernement se méfie et refuse que le mari de la princesse héritière puisse être appelé un jour « roi », tant il craint l’influence réelle qu’il exerce sur «Lilibeth ». Pour l’ancien vice-roi des Indes, rien ne saurait arrêter sa famille vers les marches du trône. Il est d’ailleurs si confiant qu’il entame même des recherches sur le titre de « prince consort ». Ne sait-on jamais ! D’ailleurs, à peine le roi Georges VI enterré (1952) que la nouvelle souveraine, Elizabeth II, apprend que « Dickie » a sablé le champagne avec ses amis en criant : « Et maintenant c’est la maison Mountbatten qui règne ». Une phrase répétée à diverses reprises au cours du repas et que l’on peut découvrir dans la série « The Crown ». Il n’en sera rien. Au cours d’un conseil privé, sur les recommandations du premier ministre Winston Churchill et de sa grand-mère, la reine Mary de Teck, Elizabeth II décide sèchement que le nom de la dynastie restera celui de Windsor, mettant un terme aux projets des Battenberg de voir leur nom s’élever au rang des royaux. Philip, duc d’Edimbourg, sans la qualité de prince consort, vivra cette décision comme une humiliation personnelle et envoie même une protestation de 7 pages sur le sujet, se plaignant en privé d’être « le seul homme au pays non autorisé à donner son nom à ses propres enfants». Jusqu’en 1960 où la reine consent enfin à ce que sa descendance prenne le nom de Mountbatten –Windsor. Du moins à l’état civil ! « Honni soit qui mal y pense » car dans la réalité, elle reste Windsor pour le reste du monde comme pour ses descendants agnatiques, successibles au trône, qui auront les titres de princes ou de princesses. A contrario des autres qui restent Mountbatten-Windsor. Tout est dans la nuance.
L’Irish Republican Army (IRA) va achever d’écrire en lettres de sang, le dernier chapitre de la vie de l’oncle « Dickie », titré 1er lord de Mountbatten-Burma. Le 17 août 1979, une bombe cachée dans son bateau met fin à ses jours ainsi que celui de son petit-fils, lord Nicholas Knatchbull, 14 ans et un mousse du même âge. Charles, prince de Galles, fils aîné de la reine pleurera longtemps celui qui aura été son mentor et dont il éprouvait une admiration sans bornes. Peut-être le plus Mountbatten des enfants de la souveraine qui pourrait bien changer le nom de la maison royale, une fois sur le trône, et couronner enfin les ambitions de « Dickie ».
Le titre de Lord Mountbatten-Burma est aujourd’hui détenu par le septuagénaire Norton Knatchbull et dont le parrain est nul autre que le duc d’Edimbourg « himself ». Il a eu 3 enfants dont deux toujours vivants. L’esprit fantasque des Battenberg n’a pas disparu. En février 2019, son fils héritier, Nicholas, a annoncé qu’il se fiançait à Ambre Saint-Clare, une « sirène professionnelle ». L’Histoire, quant à elle, continue de s‘écrire avec la prochaine génération de Cambridge et de Sussex, au service d’une famille, d’une ambition pour un trône qu’ils vont indubitablement et prochainement occuper.