Biographie - Reine Mary de Teck

Jusqu’à la première année du règne d’Elizabeth II, la reine Mary fut le dernier vestige de l’Angleterre de l’ère victorienne et de son puritanisme identitaire. Mais qui connait réellement le destin de cette femme charismatique ? Elle a pourtant failli perdre sa couronne et ne jamais embrasser cette destinée royale.

 

Un destin royal forcé

Le 14 janvier 1892, toute la famille royale est réunie dans l’angoisse à Sandringham dans le Norfolk. Le prince Albert Victor de Clarence, second dans l’ordre de succession au trône, est atteint d’une pneumonie qui se veut fatale. Le jeune prince de 28 ans meurt subitement dans sa chambre, entouré des siens. Avec cette disparition, c’est tout un avenir pour la monarchie britannique qui s’effondre. Pourtant, avant sa disparition, ses fiançailles laissaient présager une nouvelle ère pour l’Angleterre.

Un an auparavant, la reine Victoria cherchait une jeune fille qui épouserait son petit-fils. La future reine-consort doit répondre à certaines exigences qui remontent au XVIIe siècle. La future épouse d’Albert-Victor doit être Britannique, aristocrate, anglicane et bien entendu vierge. En plus de cela, elle doit avoir un caractère solide pour accepter toutes les restrictions qu’impose le protocole. C’est finalement sur le nom de la jeune Mary de Teck que se pose le doigt de la reine Victoria.

Mary est née le 26 mai 1867 au palais de Kensington. En tant que petite-fille du roi George III, sa mère Mary Adélaïde de Cambridge est une cousine de la reine Victoria. Du côté de son père François, duc de Teck, elle est issue d’une famille princière germanique. Aînée et seule fille d’une fratrie de quatre enfants, May, comme la surnomme sa famille en référence à son mois de naissance, se montre intransigeante avec ses trois frères. Sa mère autoritaire lui enseigne les arts de la discrétion, de la fermeté et de la répartie. Trois qualités qu’elle garde toute sa vie. Elle grandit au côté des enfants du prince de Galles qui ont le même âge qu’elle. C’est donc tout naturellement sur cette jeune fille qui est loin d’être une inconnue pour elle, que la reine Victoria porte son choix pour épouser son petit-fils.

La reine Victoria apprécie particulièrement la jeune fille pour son sens du devoir et son fort caractère. Les fiançailles ont donc lieu le 3 décembre 1891 mais le prince meurt six semaines plus tard. Pour Victoria, il n’est pas question de laisser tomber un si beau parti pour un futur roi d’Angleterre. Pendant la période de deuil, George, le frère cadet d’Albert Victor, se rapproche de Mary. Celui qui occupe désormais la seconde place dans l’ordre de succession à la place de son frère la demande en mariage en mai 1893.

 

Une duchesse d'York appréciée

Il est urgent de régler la question du mariage du jeune prince. Deux mois seulement après sa demande, George épouse Mary en la chapelle royale du palais Saint James. Le couple devient à cette occasion duc et duchesse d’York et aménage au York Cottage situé sur le domaine de Sandringham. Mary ne tarde pas à donner des successeurs à la reine Victoria. Le prince Edward voit le jour en 1894, puis viennent Albert en 1895, Mary en 1897, Henry en 1900 et John en 1905.

Pour leurs enfants, George et Mary font le choix d’une éducation stricte qui répond parfaitement aux attentes éducatives du monde aristocratique de leur temps. Les enfants sont confiés à des nourrices alors que le duc et le duchesse d’York ne les voient que deux fois par jour. Aux yeux de George, seule la discipline compte et Mary ne peut que suivre les exigences de son mari. Ils mettent plusieurs années à se rendre compte que leurs aînés sont mal traités par la première nourrice qu’ils avaient choisie. Mais malgré cette discipline de fer, Mary se dresse comme un rempart de tendresse en pleurant ses enfants lorsqu’elle part plusieurs mois en voyage et en les réconfortant.

En tant que duchesse d’York, Mary représentela reine Victoria lors de nombreuses obligations officielles. Elle devient un membre de la famille royale crucial qui incarne l’avenir de l’institution alors que l’ère victorienne s’essouffle.

 

Le malheur de la princesse de Galles

Le 22 janvier 1901, le roi Edward VII succède à sa mère sur le trône de Saint-Edward. George et Mary deviennent les nouveaux prince et princesse de Galles. Pendant huit mois, ils partent faire une tournée dans tout l’empire au nom du nouveau souverain. Mary découvre l’étendue de l’empire sur lequel elle sera amenée à régner avec son époux.

En 1905, elle donne naissance à son dernier fils qu’elle prénomme John. Mais cette naissance est synonyme de malheur. Le petit garçon est épileptique. A cette époque, cette maladie est mortelle, incurable et entourée de mystères. Dans un premier temps, il reste choyé au sein du foyer familial mais au cours du temps il est de moins en moins présent lors des obligations publiques du couple. De peur que la maladie ne se transmette, John est gardé reclus à Sandringham, surveillé en permanence par une nourrice et deux infirmières. C’est donc à l’abri des regards, que Mary rend visite chaque jour à son fils. Mais le garçonnet meurt subitement d’une violente crise d’épilepsie en 1919 à seulement 13 ans. Ce fut le plus grand drame de la vie de mère de Mary.

 

Mary, reine-consort impératrice

Edward VII rend son dernier souffle le 6 mai 1910, laissant le trône à son fils qui règne désormais sous le nom de George V. Devenue reine-consort, Mary entend incarner les valeurs transmises par le règne de Victoria. Le couple royal est couronné en l’abbaye de Westminster le 22 juin 1911 lors d’une cérémonie où le faste rythmait le temps. Mais Mary n’est pas seulement une reine, elle est aussi une impératrice. Le 12 décembre suivant, George V et Mary sont couronnés empereur et impératrice des Indes lors du Durbar de Delhi. Ils sont les seuls monarques à bénéficier d’une telle cérémonie.

Mais alors que Mary fait ses premiers pas dans cette fonction qui dicte désormais sa vie, la reine-douairière Alexandra, mère de George V, a du mal à lui laisser sa place. Elle met du temps à quitter le palais de Buckingham, exige dans un premier temps la préséance sur sa belle-fille et garde les bijoux royaux qui étaient normalement destinés à la nouvelle reine. Mais finalement, Alexandra se retire et laisse à Mary toute la place qui lui revient pour régner au côté de son époux.

Mary incarne la parfaite reine du XXe siècle en adoptant le style propre à cette époque. Sur ses robes droites, la reine cumule les bijoux et ne sort jamais sans une tiare ou un chapeau. Mary aime les bijoux au point d’en acheter plus d’une centaine qu’elle transmettra à sa petite-fille Elizabeth. Son apparence prestigieuse force le respect. George V et Mary impose une image quasi divine de la famille royale aux yeux des Britanniques. Le roi George et la reine Mary font de leur famille un idéal dont tous les Britanniques doivent s’inspirer. En plus de cela, la figure du monarque, père de la patrie, entre dans chaque foyer. George V et Mary deviennent ainsi une figure morale adulée.

 

La reine Mary face à la Première guerre mondiale

En 1914, la Première guerre mondiale éclate. George V et Mary s’efforcent de galvaniser le moral des troupes et des Britanniques pour lutter contre l’ennemi. Quand le roi visite les tranchées, Mary visite les hôpitaux. Avec son appui, sa fille va même jusqu’à devenir infirmière. Mary est engagée pour la cause des femmes qui travaillent à la place de leurs maris partis combattre sur le front.

Après trois années de combat, le sentiment antigermanique n’a jamais été aussi haut au Royaume-Uni. Depuis George Ier de Hanovre, la famille royale descend d’une famille princière allemande. De plus, depuis Edward VII, leur nom est Saxe-Cobourg-Gotha. Le peuple leur reproche vivement leurs origines trop allemandes. Alors le roi prend une décision radicale appuyée par sa femme. Il change le nom de la dynastie en Windsor en 1917 pour faire référence au berceau de l’institution et abandonne tous ses titres allemands. Sous l’impulsion du couple royal, la famille régnante et l’aristocratie anglaise se dégermanisent. La guerre se termine finalement un an plus tard. Au terme de cette guerre, l’aura du couple royal se voit grandi mais le roi est épuisé.

 

Une reine-consort engagée

Malgré un mariage arrangé, on peut dire aujourd’hui avec certitude que George V et Mary se sont profondément aimés. Les marques d’affection ponctuent leurs lettres et George V est l’un des seuls rois à ne jamais avoir pris de maitresses.

La reine Mary avait toute la confiance de son époux. Pendant les dernières années de son règne, elle le conseille et le soutient à chaque instant. Ils fêtent leur jubilé d’argent en 1935 lors de célébrations extrêmement populaires. Mais la mauvaise santé du roi a raison de sa vie. Il rend son dernier souffle le 20 janvier 1936, ouvrant un chapitre tumultueux de l’histoire britannique.

 

La crise de 1936, la déception d'une reine

Edward VIII succède à son père. Mais le nouveau monarque est tout simplement l’opposé de George V. Cet homme plus attaché à sa popularité qu’à ses devoirs de souverain, aime particulièrement les soirées guindées et la compagnie des femmes mariées. Il s’amourache d’ailleurs de l’une d’elles. Wallis Simpson est une Américaine bientôt doublement divorcée aux mœurs légères. Le roi souhaite l’épouser mais la reine Mary s’y oppose farouchement. Elle n’apprécie pas du tout cette femme qui représente l’antipode de ce que doit être une reine-consort. Avec elle, c’est toute la famille royale, le gouvernement et l’Eglise qui poussent le roi à abandonner ses projets. Un ultimatum finit par tomber. Edward VIII doit choisir entre la couronne et Wallis. C’est ainsi qu’il abdique en faveur de son frère qui devient George VI le 11 décembre 1936.

Mary vit très mal cette abdication. Elle en voudra toute sa vie à son fils d’avoir fuit ses obligations et ses devoirs au profit de ses sentiments personnels. Mais elle garde malgré tout contact avec lui. Elle accepte d’ailleurs de le recevoir exceptionnellement quelques mois avant sa mort.

 

Le soutien indéfectible de George VI

Mary devient le soutien moral de George VI qui doit affronter envers et contre tous son destin royal. Atteint de bégaiement, le roi est un homme sensible et qui manque de confiance en lui mais il est habité par un fort sens du devoir qui le conduit à accepter sa condition. Mary apprécie particulièrement son fils et sa petite famille qui symbolisent le renouveau de la monarchie à la suite de la crise de l’abdication.

Contrairement à la tradition qui veut que la reine-douairière n’assiste pas au couronnement du nouveau monarque, Mary insiste pour être présente. Elle se tient donc près de ses petites-filles dans la loge royale pour regarder George VI et Elizabeth Bowes-Lyon être couronnés en l’abbaye de Westminster le 12 mai 1937.

Alors que la Seconde guerre mondiale éclate, George VI demande à sa mère de fuir Londres. Contre son gré, elle part finalement vivre dans le Gloucestershire chez sa nièce la duchesse de Beaufort. A peine arrivée, elle entreprend de remodeler la demeure à son goût, contre l’avis de la duchesse. Mais pendant la guerre, elle ne reste pas enfermée entre ces murs. Elle visite les troupes et les usines pour encourager l’effort de guerre. Finalement, elle revient vivre à Marlborough House en 1945.

 

La grand-mère chérie de la reine Elizabeth II

Mary sait que l’avenir de la monarchie repose désormais entre les mains de sa petite-fille Elizabeth. La fille aînée de George VI deviendra la prochaine reine du Royaume-Uni. Mary porte toute son attention sur sa petite-fille à qui elle veut transmettre ses valeurs. Le dernier acte de la vie de Mary sera donc de participer à l’éducation de la future Elizabeth II.

Celle qui avait été très froide et lointaine avec ses enfants, est tout l’inverse avec sa petite-fille. Elle est très proche d’Elizabeth et elle est bien décidée à s’imposer comme un modèle de conduite pour elle. Elizabeth lui ressemble physiquement, mais pas seulement. Comme elle, elle fait passer la Couronne avant ses intérêts personnels. Pour Elizabeth, Mary sera toute sa vie cette grand-mère qui incarne à la perfection la personne royale. Celle qui vit son règne comme un sacerdoce continue à mettre les leçons de Mary en pratique au point de devenir l’une des reines les plus populaires de l’histoire.

Comme un dernier coup dur dans sa longue vie, le 6 février 1952, elle doit faire le deuil de la disparition de son cher fils George VI. C’est désormais à sa petite-fille que revient le devoir de régner sur le Royaume-Uni et le Commonwealth. Immédiatement, elle se tourne vers elle pour la réconforter et la conseiller sur son avenir. Ce fut le dernier acte de la vie de la reine Mary. Elle rend son dernier souffle en toute discrétion le 24 mars 1953 à l’âge de 85 ans, dix semaines avant le couronnement d’Elizabeth II. Elle est alors inhumée dans la nef de la chapelle Saint-George du château de Windsor au côté de George V.

 

La reine Mary aura marqué l’histoire britannique par ce charisme presque indescriptible. Celle qui vit se succéder six monarques britanniques au cours de sa vie a su devenir un gardien et un conseiller de poids pour les membres de sa famille. Dernier symbole de l’Angleterre victorienne, c’est toute une époque qui disparait avec elle, laissant s’ouvrir un nouveau chapitre pour le Royaume-Uni : celui du glorieux règne d’Elizabeth II.