La reine Victoria est, à n’en pas douter, l’une des plus célèbres souveraines de la planète. Son nom résonne en nous comme le synonyme d’une ère puritaine où l’empire britannique était à son apogée. Mais certains pans de la vie de la reine légendaire restent méconnus. Le saviez-vous ? Victoria avait deux demi-frères ! Mais alors, qui sont-ils ? Découvrez les portraits de ces personnages restés jusqu’à nos jours dans l’ombre de la souveraine.
La première vie de la mère de la reine Victoria
Victoria de Saxe-Cobourg-Saalfeld est la dernière fille du duc de Saxe-Cobourg-Saalfeld. Née dans une fratrie de cinq enfants en 1786, elle est destinée, comme ses frères et sœurs, à un destin exceptionnel. Le duc a des projets royaux bien définis pour ses enfants ambitieux. Son fils cadet devient d’ailleurs le premier roi des Belges en 1830. Victoria ne fait pas exception.
A seulement 17 ans, elle épouse en 1803 à Cobourg le prince Emile-Charles de Leiningen, de vingt-trois ans son aîné. Ce prince germanique était veuf de la comtesse Henriette de Reuss-Ebersdorf depuis deux ans. Avec elle, il avait bien eu un fils, mais il trépassa 7 ans après sa naissance. A 40 ans, il avait bien l’intention d’avoir une descendance. C’est donc sur Victoria qu'il jette son dévolu. Le couple ne met pas longtemps à donner naissance à un premier héritier.
Charles naît en 1804 dans la résidence du couple princier à Amorbach. Trois ans plus tard, c’est au tour de la petite Théodora de voir le jour. Les deux enfants sont très proches pendant leurs premières années. Et pour cause, Victoria les éduque afin qu’ils correspondent aux attentes aristocratiques de leur temps. Les précepteurs s’accumulent pour leur enseigner l’allemand, l’anglais, la littérature ou encore l’histoire. Charles suit ensuite des cours dans une école privée de Bernes. L’attention portée sur l’éducation du futur prince de Leiningen est naturellement plus importante que pour sa petite sœur.
Charles de Leiningen, un destin politique allemand
Charles devient ensuite étudiant en suivant des cours de droit à l’université de Göttingen. Mais en 1814, son destin bascule. Il est à l’université lorsqu’il apprend la mort de son père. Il devient ainsi le nouveau prince de Leiningen et doit diriger ce territoire faisant partie de la Confédération du Rhin.
Devenue veuve, Victoria est un cœur à prendre. En 1818, elle accepte la proposition de mariage du prince Edward de Kent, troisième fils du roi George III du Royaume-Uni. L’union est célébrée à Cobourg puis au palais royal de Kew, situé à l’extrémité de Londres. Elle aménage alors en Angleterre dans un cottage de Sidmouth et donne naissance à la future reine Victoria en 1819. Mais son mariage avec le prince Edward est éphémère puisque l’année suivante il meurt d’une pneumonie. Victoria s’installe alors avec sa fille cadette au palais de Kensington à Londres pour prendre en charge son éducation.
Charles ne suit pas sa mère, il reste à Göttingen et continue ses études. Mais il passe toutes ses vacances auprès d’elle, à la cour Saint-James. C’est là qu’il développe son intérêt pour l’art en côtoyant tous les grands artistes en vogue en ce début de XIXe siècle en Angleterre.
Charles épouse en 1829 la comtesse Marie von Klebelsberg avec qui il a deux garçons. Il s’oriente ensuite vers une carrière politique. Il entre successivement dans la première chambre du Grand-Duché de Bade, puis celle du Grand-Duché de Hesse et enfin au Conseil royal bavarois. Jugé par ses pairs comme un libéral progressiste, il plaide pour l'introduction du parlementarisme et la fin des privilèges. Sa demi-sœur Victoria accède au trône de Grande-Bretagne en 1837. Quatre ans plus tard, il crée l’association pour la protection des immigrants allemands au Texas qu’il préside pendant cinq ans.
En 1848, une révolution germanique éclate, en découle la création du Parlement de Francfort, première assemblée élue allemande. Charles est désigné comme le premier Premier-Ministre-Président de l’assemblée, une fonction qu’il occupe jusqu’en 1851.
Conscient de sa place de demi-frère de la jeune reine d’Angleterre, Charles prend en main sa propre destinée très tôt. Victoria apprécie son courage et son intelligence. Dès son accession au trône en 1837, elle l’élève à la dignité de chevalier de l’ordre de la Jarretière, le plus noble ordre de chevalerie d’Angleterre. Elle l’invite souvent aux grands événements de la famille royale comme lors du bal masqué qu’elle donne au palais de Buckingham le 6 juin 1845. Mais avec 15 ans d’écart et n’ayant jamais été élevés ensemble, Victoria et Charles n’auront jamais su entretenir une proche relation fraternelle.
Charles meurt d’une crise cardiaque en 1856. Le lendemain de sa mort, Victoria écrit ces quelques mots dans son journal : « Je ne peux pas réaliser que mon frère unique bien-aimé nous a été enlevé ! Pendant que j'écris ceci, j'ai l'impression que ce ne peut être qu'un mauvais rêve, dont je pourrais encore me réveiller, pour voir son cher visage, entendre sa voix joyeuse et son rire, tout en profitant de sa délicieuse compagnie. Il semble tout à fait impossible que je ne puisse voir devant moi ce cher Charles, la personnification de la vie, de la santé et de la gaieté, et que je ne le reverrai jamais ! C'est trop affreux, trop dur ! »
Théodora de Leiningen, la demi-sœur confidente
Contrairement à son frère aîné, Théodora a suivi sa mère en Angleterre après son remariage en 1818. Quand la future reine Victoria voit le jour, Théodora a 12 ans. Elle vit à ses côtés au palais de Kensington où leur mère met en place une éducation stricte au quotidien. Elle est le seul enfant avec qui la jeune Victoria a la possibilité de passer du temps. Ensemble, les deux demi-sœurs vont lier une relation très étroite. Véritables confidentes, elles seront fidèles et dévouées l’une pour l’autre toutes leurs vies. Mais Théodora est, comme Victoria, la victime collatérale du système Kensington. Elle est pressée de quitter définitivement ce palais qui fait figure de prison.
En 1828, elle épouse le prince Ernest Ier de Hohenlohe-Langenbourg. Dès le lendemain de leur union, Théodora part vivre auprès de son prince en Allemagne. Elle s’installe dans le domaine de sa nouvelle famille à Langenbourg près de Stuttgart. Entre ces murs, elle fonde sa propre famille en donnant naissance à six enfants. Dans sa principauté, Théodora s’intéresse tout particulièrement au sort des orphelins. Avec son époux, elle fonde ainsi différentes institutions destinées à l’accueil des enfants pauvres, malades ou abandonnés.
Si Théodora vit son propre destin en Allemagne, elle n’en oublie pas moins sa demi-sœur. Avec la reine Victoria, elle entretient une relation épistolaire régulière où chacune raconte ses instants de bonheur, tout en se confiant sur ses malheurs. Elle visite souvent la famille royale britannique accompagnée de ses enfants.
Mais en 1860 son époux décède. Elle s’établit alors à Baden-Baden où elle rend son dernier souffle en 1872. Quand elle apprend la nouvelle par un télégramme envoyé par l’impératrice allemande Augusta, la reine Victoria est dévastée. Voilà onze ans qu’elle est veuve du prince Albert de Saxe-Cobourg et Gotha. En plus de cela, le prince de Galles Edward vient de se remettre miraculeusement de la fièvre typhoïde. Elle écrit sur son journal le 23 septembre de la même année : « Puis-je l'écrire ? Ma sœur unique et chérie Théodora n'est plus ! Quelle perte effrayante ! Je suis seule désormais, sans aucun proche parent vers qui me confier. Comme c’était bon et sage que ma bien-aimée Théodora m’ait été si dévouée. Elle était ma dernière proche parente sur le même pied d’égalité que moi, le dernier lien avec mon enfance et ma jeunesse. »
Discrets mais dévoués, Charles et Théodora vécurent leur propre vie en parallèle du destin royal de leur demi-sœur. Ils surent, chacun à leur manière, entretenir une relation étroite avec la reine Victoria qui pouvait compter sur eux à chaque moment de son existence. Charles comme Théodora ont aujourd'hui encore une descendance directe. Si l'actuel prince Frédéric Charles de Leiningen n'entretient aucune relation avec la famille royale, le prince Philipp de Hohenlohe-Langenbourg est apparenté à Elizabeth II et le prince Philip. La princesse Anne est d'ailleurs sa marraine. Il fut l'un des trois princes allemands présents lors des funérailles du duc d'Edimbourg en 2021.