Victoria, reine froide, distante, sévère voire même austère. Ainsi soit l’image éternelle que garde tout à chacun de nos jours. Et pourtant, loin de cette image publique d’autorité se dessine aussi la figure d’un monarque capable d’une véritable humanité. Sara Forbes Bonetta en est l’incarnation parfaite.
Princesse esclave d’Afrique
Nous sommes en 1843 lorsqu’elle voit le jour à Oke Odan, dans l’Etat d’Ogun (l’actuel Nigeria). A l’origine, ses parents la nomment Omoba Aina. Issue d’une lignée royale africaine, Sara est destinée à un avenir prometteur mais c’est sans compter les tensions locales qui règnent au moment de sa naissance.
En 1848, son village est attaqué par les hommes du royaume de Dahomey. Sara perd alors ses parents avant d’être réduite à l’esclavage à la cour du roi Ghézo d’Abomey. Pire encore, ses ravisseurs la destinent au sacrifice aux Dieux… La jeune fille est finalement sauvée in extremis par Frederick Edwyn Forbes, un officier de la Royal Navy. Il convainc le roi de la donner à la reine Victoria comme un « cadeau du roi des Noirs à la reine des Blancs ». Forbes lui attribue alors un nouveau nom, plus anglais : Sara Forbes Bonetta.
« La captive du Dahomey »
Dès son arrivée à Londres en 1850, Sara est présentée à la reine Victoria. Son histoire tragique ravit les cercles aristocratiques du moment. La souveraine remarque son extrême intelligence. Touchée par sa délicatesse d’esprit, elle ordonne qu’elle soit baptisée selon les rites anglicans. Contrairement à ce qui est souvent avancé, Sara ne fut jamais une filleule de la reine Victoria. Pour autant, sous la houlette de la cheffe de l’Eglise d’Angleterre, elle fait son entrée dans le beau monde.
La reine se prend personnellement d’affection pour cette ancienne esclave adoptée par un officier. Elle la surnomme rapidement « Sally ». Elle prend en charge son éducation pour en faire une vraie petite Anglaise. Bien qu’elle soit épanouie à la cour St James, Sara supporte difficilement le rude climat anglais, tombant rapidement malade. Pour lui permettre de retrouver une pleine santé, elle est envoyée en 1851 en Afrique de l’Ouest pour suivre des études dans un établissement britannique. Mais la petite fille ne se sent pas à l’aise sur ces terres. Dès 1855, elle retourne vivre à Londres auprès de son père adoptif.
Victoria apprécie sa compagnie, au point de l’inviter à assister au mariage de sa fille Béatrice en 1862. A cette date, Sara à 19 ans. Il est temps pour elle d’unir elle aussi son destin à un homme. Elle obtient l’accord de la reine de se marier à James Pinson Labulo Davies, un riche homme d’affaires et officier de marine natif du Nigeria lui aussi. Le couple se marie à Brighton, dans le Sussex, là où ils aménagent dans une villa cossue du quartier de Montpelier.
Une vie sous la protection de la reine Victoria
Finalement, le couple part s’installer en la colonie britannique de Lagos où ils ont trois enfants. Sara ne perd pas contact avec la reine pour autant. Victoria devient la marraine de sa première fille, à qui est donné le prénom de la souveraine. Les deux femmes s’écrivent souvent. Victoria se porte en protectrice de sa chère Sara. Elle ordonne notamment qu’à tout soulèvement populaire à Lagos, Sara et sa famille soient évacués en priorité. La reine ne résiste pas non plus à faire accrocher à Osborne House, sa résidence privée de l’île de Wight, un portrait de cette princesse africaine qu’elle chérie tant. Un privilège d’ordinaire accordé uniquement aux membres de la famille royale.
Mais Sara demeure de santé fragile toute sa vie. En 1880, elle contracte une tuberculose alors qu’elle séjourne à Funchal, sur l’île de Madère. C’est ici qu’elle rend son dernier souffle à seulement 37 ans. Elle est alors inhumée au cimetière britannique de Funchal.