Charles III et le pape Léon XIV en moment de prière commun lors d’une célébration œcuménique en la chapelle Sixtine. Le moment est fort, autant d’un point de vue religieux que symbolique. Cet instant historique semble mettre fin à cinq siècles de relations tumultueuses entre les Eglises de Rome et d’Angleterre.

Défenseur de la Foi
Le Moyen-Age voit la prédominance de l’Eglise sur le monde. Au-dessus des monarques, le pape exerce une toute puissance sur les hommes. Chacun craint, autant qu’il croit, au pouvoir divin de souverain pontife. Pour éviter le purgatoire, les dons pour l’Eglise s’accumule siècle après siècle. La papauté va jusqu’à commercialiser des indulgences qui pardonnent tous les péchés et accordent une place automatique au Paradis. Grâce à ce commerce divin, la basilique Saint-Pierre sort de terre quant les princes de l’Eglise vivent tels des seigneurs temporels.
Au cœur du Saint-Empire romain germanique, un prêtre augustin du nom de Martin Luther proteste. Il publie en 1517 quatre-vingt-quinze thèses qui dénoncent les dérives de l’Eglise. Ainsi naît le protestantisme. Ce courant envahit peu à peu l’Europe, atteignant l’Angleterre d’Henri VIII. Le roi prend alors la défense de l’Eglise en publiant en 1521, avec le concours de Thomas More, Défense des sept sacrements. Le pape Léon X remercie le monarque en lui offrant le titre de Défenseur de la Foi. Mais l’arrivée l’année suivante d’une nouvelle demoiselle d’honneur à la cour Saint-James fait basculer l’avenir du royaume.

Le schisme entre l’Angleterre et l’Eglise de Rome
Anne Boleyn est une jeune aristocrate anglaise. Elle passe son adolescence en France où elle reçoit une éducation soignée et délicate. En 1522, elle entre au service de l’épouse d’Henri VIII, la reine Catherine d’Aragon. Henri VIII s’éprend rapidement de la jeune femme mais elle lui résiste. Pendant sept ans, le souverain lui fait une cour effrénée. Mais Anne refuse de devenir sa maîtresse. Si le roi la veut, c’est par l’autel qu’il devra passer.
En 1528, Henri demande l’annulation de son mariage avec Catherine d’Aragon sous prétexte qu’elle avait d’abord été l’épouse de son frère aîné défunt Arthur. Catherine est la tante de l’empereur Charles Quint. Risquant une guerre contre le plus puissant souverain d’Occident, le pape Clément VII refuse cette annulation et excommunie le roi d’Angleterre. Ce refus papal vaut la colère d’Henri. En 1531, il rompt ses liens avec Rome et se déclare chef suprême de l’Eglise d’Angleterre. Huit ans plus tard, il fait rédiger l’Acte des Six Articles qui dessine les prémices de l’anglicanisme et rejette les doctrines catholiques. Avec ce schisme, les relations entre Londres et Rome sont rompues.

La naissance de l’anglicanisme
Henri VIII meurt en 1547. Son fils Edward VI confirme le protestantisme comme religion d’Etat en Angleterre. Sous son règne, le mouvement se radicalise : les vêtements sacerdotaux sont interdits, les vitraux catholiques sont démantelés, les crucifix abattus et les cloches descendues. En 1549, le Livre de la prière commune est publié. Ce texte en anglais rédige une prière commune pour tout le royaume, définit le sacrement et les rites et cérémonies. Ainsi naît l’anglicanisme.
Mais le jeune roi meurt brutalement en 1553, laissant la réforme anglicane inachevée. Sa sœur Marie Ire s’empare du pouvoir et restaure le catholicisme en terre d’Angleterre. Désormais, les bûchers se lèvent contre l’hérésie protestante. Marie la Sanglante reprend les relations avec la papauté et va jusqu’à épouser le souverain Très Catholique Philippe II d’Espagne en 1554. Mais Marie meurt sans descendance en 1558. Le trône revient à sa demi-sœur Elizabeth Ire.

Mission reconquête de l’Angleterre
La nouvelle reine est profondément protestante. Sous son règne, l’anglicanisme s’affirme comme une véritable confession chrétienne, au même titre que le catholicisme. Elle fait publier un nouveau Livre de prière commune qui devient l’acte fondateur de l’anglicanisme, dictant les positions doctrinales et liturgiques. Le papisme, ainsi soit le catholicisme en Angleterre, ne perd pas espoir d’une restauration pour autant. Les papes successifs désignent des catholiques qui ont pour mission secrète d’exécuter la souveraine. Surtout, ils ordonnent aux Anglais de refuser l’obéissance à Elizabeth sous peine d’excommunication. Les tensions entre Londres et Rome sont à leur comble.
Le Vatican se donne pour mission de faire revenir le juron catholique en Angleterre. L’arrivée des Stuart sur le trône en 1603 donne de l’espoir à la papauté. Le roi Charles II hésite longtemps à la conversion. Il finit par le faire le dernier soir de sa vie en 1685. C’est donc en catholique que le roi rend son dernier souffle.
Pour successeur, il peut compter sur son frère cadet Jacques II, déjà converti au catholicisme. Mais l’anglicanisme est largement majoritaire en Grande-Bretagne désormais. Nombreux sont les Anglais à voir leur roi tel un espion au service de la papauté. Jacques promulgue néanmoins des lois en faveur des catholiques qui sont dorénavant autorisés à exercer leur culte en toute liberté en son royaume. Il va jusqu’à leur autoriser d’occuper les plus hautes fonctions. Il reçoit dès 1686 le nonce apostolique à sa cour, une première depuis le schisme de 1531. La haine du peuple ne cesse de grandir face à ce roi aux envies absolutistes. En 1688, la Glorieuse Révolution renverse Jacques II en faveur de sa fille Marie II et de son gendre Guillaume III. S’en est définitivement finie du catholicisme d’Etat en Angleterre. Les catholiques sont même bannis de la famille royale et des hautes fonctions du royaume.

Un rapprochement progressif
Aucun ambassadeur, aucun membre de la famille royale, ne sera convié entre les murs du Vatican. D’autant que le pape perd au cours du XIXe siècle son pouvoir temporel. Il faut attendre le début du XXe siècle pour que l’Etat pontifical se rapproche de sa sœur anglaise. En 1903, Edward VII est le premier monarque britannique à être reçu officiellement par le pape Léon XIII. Ce dernier tente de retrouver une importance diplomatique à sa fonction en se rapprochant des puissances d’Occident. En 1914, avant même la signature en 1929 des Accords du Latran qui redonnent au pape un Etat au sein de la Cité du Vatican, une représentation diplomatique du Saint-Siège est présente au Royaume-Uni. L’Angleterre fait de même auprès du souverain pontife. Les relations diplomatiques officielles reprennent enfin. Il faut néanmoins attendre 1981 pour que ces représentations soient élevées en ambassade et nonciature.

Elizabeth II, mère de l’entente divine
Elizabeth II est la véritable artisane du rapprochement entre le Saint-Siège et le Royaume-Uni. En 1951, alors qu’elle n’est que princesse, elle est reçue par Pie XII qui souhaite recevoir les vainqueurs de la Seconde guerre mondiale. Au cours de son règne, elle rencontra ensuite quatre papes, recevant même deux d’entre eux en visite d’Etat en Grande-Bretagne. Mais c’est bien avec Jean-Paul II que la reine a tissé les relations les plus étroites. Tous deux sont très attachés au discours interreligieux et c’est dans ce contexte qu’elle est reçue à deux reprises par le pape polonais et qu’elle l’invite à Londres en 1982. Cette visite d’Etat est historique : pour la première fois de l’histoire un pape traverse la Manche. Jean-Paul II invite ensuite l’archevêque de Canterbury à une journée de dialogue entre les religions en 1986 à Assise. Jamais autant de représentants de religions différentes ne s’étaient rassembler dans un même lieu. Aux funérailles de Jean-Paul II, la souveraine est représentée par le prince de Galles. Jusqu’ici, les monarques anglais étaient les grands absents de cet événement international pour raisons religieuses.
Aux yeux d’Elizabeth II, les catholiques ne sont plus un problème. En 2013, elle fait même réviser la loi de succession au trône permettant aux membres de la famille royale qui épousent des catholiques de conserver leur rang. La mort de la reine pousse le pape François à publier un communiqué rendant hommage à « une vie de service ininterrompu pour le bien de la Nation et du Commonwealth, à son exemple de dévouement au devoir, à son témoignage inébranlable de foi en Jésus-Christ et à sa ferme espérance en ses promesses ».

Charles III et le Vatican : une amitié historique
Charles III n’est pas en reste. Toute sa vie, il s’est montré très sensible au rapprochement interreligieux. Dans son jardin de Highgrove, il a fait construire un temple qui renferme des symboles des quatre grandes religions monothéistes. Pour son couronnement, il demande à ce que la bénédiction soit également faite par le primat catholique d’Angleterre. Le pape François connaît sa sensibilité religieuse. Il lui offre pour l’occasion un morceau de la Vraie Croix. Charles III est très touché par le geste du pontife.
Alors lorsque François voit sa santé fragilisée, Charles III accourt. Aussitôt le pape rentré d’un séjour hospitalier, il se rend au Vatican en avril 2025 pour le visiter en toute discrétion. Cette rencontre sera la dernière de François avec un souverain étranger. Il s’éteint le 21 avril 2025. Pour le représenter, Charles III envoie le prince de Galles.
Plus que jamais, le Vatican et Londres ne se sont jamais aussi bien entendus au point qu’il faut attendre cinq mois seulement pour voir organisée une visite d’Etat au Vatican du couple royal. Le nouveau pape Léon XIV organise un programme qui met en lumière l’amitié divine entre son Etat et celui de Charles III.
