La reine Victoria est certainement l’un des monarques européens les plus célèbres. Cent-dix-sept ans après sa mort, elle reste dans les esprits comme un souverain d’exception qui sut marquer à jamais l’histoire de son royaume. Sous son règne, le Royaume-Uni connaît une croissance démographique, économique et industrielle inédite, à tel point qu’il devient dans les années 1840 la plus grande puissance économique du monde. « L’usine du monde » se transforme rapidement en un empire colonial surpuissant. Les guerres victoriennes permettent d’instaurer un empire où le soleil ne se couche jamais. Fort de ce succès, le Royaume-Uni devient en cette fin de XIXe siècle la plus grande puissance mondiale. Victoria représente à elle seule une grandeur tant redoutée et admirée par le monde. A l’apogée de son règne, Victoria devient le souverain britannique ayant régné le plus longtemps le 23 septembre 1896. Un an plus tard, elle fête le soixantième anniversaire de son règne. Je vous invite à revenir sur ce jubilé de diamant qui reste aujourd’hui encore gravé dans la mémoire collective.
George III du Royaume-Uni était jusqu’alors le souverain britannique doté du plus long règne. De 1760 à 1820, George III règne sur l’Angleterre pendant plus de cinquante-neuf ans. Nous sommes le 23 septembre 1896 lorsque Victoria dépasse le record de son grand-père. Mais la reine se refuse à organiser toutes célébrations publiques marquant l’événement. En privé, elle se limite à un dîner familial à Balmoral en Ecosse. Son souhait ? Favoriser davantage son soixantième anniversaire sur le trône qui survient l’année suivante.
Victoria veut marquer durablement cet événement inédit dans l’histoire britannique, mais de quelle manière ? Le secrétaire d’Etat aux colonies Joseph Chamberlain lui suggère d’organiser un véritable festival de l’Empire britannique. Enthousiaste face cette idée, Victoria veut se présenter comme la véritable mère de l’Empire qu’elle dirige. Bien plus qu’un simple anniversaire d’un règne, le jubilé de diamant de Victoria devient un événement organisé à la gloire d’un empire de 24 700 000 kilomètres carrés et de 372 millions d’âmes.
Les festivités débutent en juin 1897. Le 20, la reine assiste à une messe privée « très émouvante », selon ses propres mots, en la chapelle Saint-George du château de Windsor pour marquer le véritable jour de son accession. Dans son journal, en ce jour spécial la reine écrit dans son journal : « Je me rappelle si bien ce jour, il y a 60 ans, lorsque ma chère maman m’a sortie du lit pour m’annoncer la nouvelle de mon accession au trône ». Le lendemain, elle embarque à bord de son train royal, direction Buckingham.
L’Empire fête quant à lui officiellement le jubilé de diamant de Victoria le mardi 22 juin 1897. Ce jour est proclamé jour férié en Grande-Bretagne et « dans tous les pays où des sujets britanniques sont résidents ». Dans tout l’empire, des festivités sont organisées pour marquer l’événement. Ainsi, au Canada, cérémonies religieuses et rencontres populaires rassemblent un grand nombre de Canadiens patriotes.
Le point culminant de ces réjouissances se trouve à Londres. Assise dans un landau tiré par huit chevaux hanovriens, Victoria participe personnellement à un défilé militaire. Bien que Victoria ne souhaite pas inviter officiellement les souverains européens, tout le gotha mondial se rassemble autour d’elle. Le kaiser Guillaume II d’Allemagne ainsi que l’héritier du trône portugais et son épouse D. Carlos et Amélie font partis de la tribune officielle.
Trois millions de sujets en effervescences se massent dans les rues londoniennes. La popularité de Victoria n’a jamais été aussi élevée. Le temps d’une semaine, Londres devient la métropole la plus cosmopolite du monde. Des centaines de tribunes sont installées le long du trajet royal qui part de Buckingham Palace, pour arriver à la cathédrale Saint-Paul, en passant par Southwark, un quartier ouvrier de Londres. Certains spectateurs n’hésitent pas à louer une semaine à l’avance leur emplacement, ou bien même à dormir plusieurs nuits dans la rue pour s’assurer d’avoir une place. Pour entourer la reine, vingt-cinq-mille soldats venus de tout l’Empire participent au défilé. Les rues de Londres sont resplendissantes d’uniformes colorés tous plus extraordinaires les uns que les autres. Au passage du cortège royal, on chante à tue-tête :
Grand-mère blanche, loin par-delà les mers,
Puisse-t-elle régner à jamais sur l’Empire
Que long soit son règne, glorieux et libre,
Dans la patrie des Blancs !
Arrivée à l’extrémité de l’itinéraire prévu, Victoria participe à une cérémonie religieuse prévue face à la cathédrale, la reine de 78 ans étant incapable de monter les marches qui mènent à l’entrée de l’imposant monument.
De retour à Buckingham, Victoria utilise pour la première fois un appareil télégraphique. Grâce à lui, Sa Majesté put envoyer aux quatre coins du globe ce message royal : « De tout mon cœur, je remercie mes peuples bien-aimés. Que Dieu les bénisse ! V.R.I. »
Avant de présider un dîner officiel en son honneur, Victoria entreprend des remises de drapeaux et de décorations et prononce un discours enchanteur. La reine eut à cœur de mettre d’abord en avant ses hommes venus de sa chère Inde. En tant qu’impératrice des Indes, Victoria offrait une place particulière à cette colonie riche de 295 millions de sujets. Pour preuve, depuis 1883 elle s’entoure presque exclusivement de serviteurs indiens.
Victoria résume cette journée inoubliable ainsi : « Une journée inoubliable. Personne, je pense, n’avait jusqu’à présent été accueilli avec l’ovation qui m’a été réservée tout au long de ces neuf kilomètres de rues, y compris sur Constitution Hill. La foule était assez dans un état indicible. Elle rayonnait d’un enthousiasme vraiment merveilleux et extrêmement touchant. Les acclamations étaient assourdissantes et chaque visage resplendissait de joie ».
Les deux Chambres de Westminster envoient une délégation officielle à Buckingham le lendemain. Leurs vœux officiels de félicitations envoyés, elles achèvent ainsi une semaine entièrement dédiée à Victoria.
Par cette journée fastueuse et festive, Victoria a tenu à marquer l’allégeance indéfectible des colonies à la Couronne. Jamais la puissance britannique n’avait été aussi visible. A l’apogée de sa puissance, Victoria s’impose réellement comme le plus grand souverain européen de son époque. Jamais la monarchie britannique ne connaîtra un tel niveau d'influence politique qu'au moment de ce jubilé. Pourtant, cent-quinze ans plus tard, un nouveau jubilé de diamant put enfin se mesurer à celui de la légendaire reine Victoria.