Histoire du couronnement de la reine Elizabeth II

Il est 6h du matin lorsqu’une femme de chambre tire les rideaux de la chambre d’Elizabeth II à Buckingham. Soucieuse, la jeune reine se regarde dans son miroir et se remémore les souvenirs joyeux de son père. Voilà plus d’un an que le roi George VI a rendu son dernier souffle. Ce 2 juin 1953, la reine est sur le point de voir déposé sur ses épaules de jeune femme tout le poids de sa fonction de souveraine lors d’une cérémonie quasi millénaire : son couronnement.


La naissance de la reine Elizabeth II

En ce début du mois de février 1952, le roi George VI devait effectuer une tournée du Commonwealth. Mais sa santé déclinant, il lègue cette tache à sa fille aînée et son époux. Le couple princier part pour une tournée en Australie et en Nouvelle-Zélande avec une escale au Kenya. C’est sur ces terres kenyanes qu’Elizabeth et Philip apprennent le décès du roi le 6 février 1952.

Elizabeth II devient la souveraine légitime de sept Etats indépendants et le nouveau chef du Commonwealth, cette organisation qui rassemble d’anciennes colonies britanniques. Elle rentre en toute hâte en Angleterre pour prendre son destin en main.

Les débuts des préparatifs

Les funérailles du défunt monarque ont lieu le 15 février en la chapelle Saint-George du château de Windsor. S’ouvre alors une longue période de deuil national qui doit durer une année. Pendant ce temps, les préparatifs du couronnement de la reine débutent.

Le duc d’Edimbourg est désigné pour présider la première réunion de la Commission du couronnement qui se tient en avril 1952. Au total, une dizaine de réunions se sont tenues pour organiser le jour le plus important du règne d’Elizabeth II.

La date du sacre est fixée au 2 juin 1953. Quatorze mois seront donc nécessaires pour l’organisation de cet événement qui se veut grandiose.

La symbolique du couronnement

Plus qu’un couronnement, il s’agit d’un sacre. En plus d’être reine du Royaume-Uni, Elizabeth II devient ce jour-là la chef de l’Eglise d’Angleterre. Plus haut représentant de cette Eglise, elle devient une personne sacrée qui ne rend compte qu’à Dieu par un processus bien défini. Au cours de cette cérémonie, Elizabeth II obtient tous les symboles de ses pouvoirs détenus uniquement par la volonté de Dieu. En un seul événement, c’est toute la symbolique autour de la monarchie qui se rassemble.

Au-delà du sacré, Elizabeth II accorde une importance toute personnelle à ce couronnement. En 1947, elle avait prêté un serment qui va dicter ses actes tout au long de sa vie.

« Je déclare devant vous tous que je consacrerai toute ma vie, qu'elle soit longue ou brève, à votre service et au service de la grande famille impériale dont nous appartenons tous. »

Ce couronnement concrétise officiellement et aux yeux du monde le sens du devoir qui va la porter pendant tout son règne. Celle qui n’était pas destinée à régner va vivre son règne comme un sacerdoce. Ce 2 juin 1953, elle offre toute sa vie au Royaume-Uni et plus largement au Commonwealth.

 

La mise en place d'un événement exceptionnel

Le couronnement est d’abord une affaire de famille. La tradition britannique veut que le couronnement d’un monarque soit organisé par le duc de Norfolk. C’est donc à Bernard Fitzalan-Howard, 16e duc de Norfolk, que revient la responsabilité globale de la cérémonie. En 1937, il avait déjà organisé celui du roi George VI.

Sous sa direction se décide l’organisation générale du couronnement. L’installation des décorations le long du parcours royal de Buckingham Palace à l’abbaye de Westminster, la décoration intérieure de l’abbaye, le service de sécurité… Autant d’éléments qui n’échappent pas au regard intraitable du duc.

Des milliers de petites mains travaillent à la conception des tapis, des étendards ou encore des chaises qui portent le monogramme d’Elizabeth II et qui permettent aux 8 000 invités de s’assoir.

Pendant ce temps, les acteurs de cette immense cérémonie s’entraînent chacun de leur côté à occuper le rôle qui est le leur. Elizabeth II ne fait pas exception. Avec ses six dames d’honneur, elle s’entraîne à Buckingham, à l’aide d’un drap blanc pour remplacer sa traine, à marcher au rythme qu’il convient pour remonter les cent mètres qui séparent l’entrée de l’abbaye au chœur. Pendant plusieurs mois, elle passe le plus clair de son temps avec la couronne impériale d’Etat sur sa tête pour s’habituer à son poids. Elle assiste d’ailleurs à deux répétitions générales à l’abbaye les 22 et 29 mai 1953.

Le premier couronnement retransmis à la télévision

En tant que président de la Commission du couronnement, le prince Philip n’a pas l’intention de rester sans rien faire. L’époux de la reine croit profondément au progrès technologique et pense véritablement que la monarchie doit faire son entrée dans le monde moderne sans jamais oublier ses traditions.

Le duc d’Edimbourg propose alors de retransmettre en direct à la télévision la totalité de la cérémonie. Pour lui, ce serait un moyen de faire entrer concrètement la monarchie dans chaque foyer du Commonwealth. Mais le Premier Ministre Winston Churchill et la reine Mary, la grand-mère d’Elizabeth II, s’y opposent. A leurs yeux, cette retransmission viendrait souiller la sacralité de la cérémonie. La reine Mary rend son dernier souffle en plein préparatifs du couronnement, le 24 mars. Malgré tout, les plans prévus pour la cérémonie restent inchangés, selon le souhait de la défunte reine. Churchill est seul à porter le flambeau contre la retransmission télévisuelle de la cérémonie. Mais Elizabeth II soutient le projet de son mari et finit par lui donner gain de cause.

La BBC est chargée de filmer l’intégralité de l’événement. Elle réalise deux films. L’un en noir et blanc et qui est diffusé en direct et l’autre en couleur gardé dans les archives. Les Britanniques sont fous de joie de pouvoir assister à la cérémonie de l’intérieur de l’abbaye. Au début des années 1950, la télévision restait un luxe que peu de personnes pouvaient s’offrir. Le sacre de la reine participe grandement à la diffusion de la télévision dans les foyers. Avant de fêter l’événement dans les rues, on se retrouve alors en famille ou entre voisins pour regarder les 4h de retransmission. On estime ainsi que l’événement a attiré plus de 277 millions de téléspectateurs. Jusqu’à ce que l’homme marche sur la Lune pour la première fois en 1969, le couronnement d’Elizabeth II resta l’événement retransmis en direct le plus regardé de l’histoire.

La cérémonie en l'abbaye de Westminster

Il est 10h du matin lorsque la reine s’installe dans le Gold State Coach, ce splendide carrosse doré datant du XVIIIe siècle tiré par huit chevaux blancs. Pour arriver à l’abbaye, elle passe sous le porche principal du palais de Buckingham avant de remonter le Mall jusqu’à Trafalgar Square.

Tout le trajet royal de 8 kilomètres est ponctué de soldats et de policiers qui gardent une foule de trois millions de spectateurs derrière des barrières. Quant au carrosse, il est précédé par un défilé de 29 000 militaires venus de tout le Commonwealth.

Il est 11h. La reine descend du carrosse vêtue d’une magnifique robe blanche qui arbore les symboles floraux de l’Angleterre, l’Ecosse, l’Irlande du Nord et le Pays de Galles signée Norman Hartnell. Portant sur sa tête la tiare de George IV, elle remonte la nef d’un pas lent.

La cérémonie commence par un temps de prière pour Elizabeth II avant que les regalia, les insignes du couronnement, ne soient déposés sur l’autel. Elle se présente ensuite devant le trône de Saint-Edward pour que quatre pairs du Royaume-Uni la présentent aux quatre coins cardinaux comme la nouvelle souveraine. De nouveau assise sur sa chaise de velours rouge, elle prête serment de gouverner chacun de ses pays selon leurs lois et coutumes respectives, de faire droit à la loi et à la justice avec miséricorde, de défendre l'Église d'Angleterre et de préserver ses évêques et son clergé.

Vient alors le moment le plus solennel de la cérémonie. La reine retire ses bijoux et sa cape d’hermines et revêt une simple robe blanche par-dessus sa robe du couronnement avant de s’assoir sur le trône de Saint-Edward. Selon les vœux de la reine, un dais vient cacher le moment aux caméras. L’archevêque de Canterbury se dirige alors vers elle et l’oint de l’huile sacrée au front, aux mains et à la poitrine au son de Zadok the Priest. Par cette onction, la reine devient l’unique représente de Dieu sur Terre en Angleterre.

Elle reçoit ensuite les bracelets, la robe royale dorée et l’orbe du souverain. Elle revêt alors un gant blanc à sa main droite avant de recevoir le sceptre à la Croix et l’anneau royal pour signifier qu’elle exercera son pouvoir avec bienveillance. Dans sa main gauche est placé le sceptre à la Colombe.

Sous le regard du prince Charles âgé de seulement 5 ans, l’archevêque de Canterbury dépose sur la tête de la jeune reine la couronne de Saint-Edward. Pour la seule fois de sa vie, Elizabeth II porte la couronne qui fait les rois d’Angleterre. La foule s’exclame par trois fois « Dieu sauve la Reine ! ».

Pendant de longues minutes, les hauts dignitaires du clergé et les pairs du Royaume-Uni prêtent serment de fidélité à la reine. Le prince Philip inaugure le bal des genoux à terre avant qu’Elizabeth II reçoive l’hommage des aristocrates par ordre de préséance.

La reine se rend ensuite dans la chapelle Henri VII pour signer un acte et revêtir à nouveau sa robe de couronnement. C’est désormais coiffée de la couronne d’Etat impériale, avec le sceptre à la Croix et l’orbe en main, qu’elle sort de l’abbaye au son du God save the Queen. A bord du Gold State Coach, elle rentre sous les hourras des Londoniens avec son époux au palais de Buckingham.

 
Une foule compacte se rassemble devant le palais. Toute la famille royale soutient la nouvelle souveraine en apparaissant une dizaine de fois au célèbre balcon. D’un geste délicat et assuré, Elizabeth II salue son peuple enthousiaste. Symbole de cette journée extraordinaire, le portrait officiel d’Elizabeth II couronnée est réalisé par le photographe de la cour Cecil Beaton. Il annonce l’avènement d’un règne extraordinaire de plus de 70 ans, celui de l’ère elizabethaine.