Les chefs d’Etat sont très peu nombreux à pouvoir se vanter d’avoir connu autant de souverains pontifes au cours de leurs vies. Et pourtant, Elizabeth II a vu pas moins de sept papes se succéder à la tête de l’Eglise catholique. Revenir sur la relation entre la souveraine britannique et le Saint-Siège, c’est découvrir la longue histoire qui lie les Eglises d’Angleterre et catholique.
Le schisme de 1534
L’Eglise d’Angleterre naît en 1534 d’un désaccord entre le pape et le roi anglais. Henri VIII est un jeune souverain fringuant en proie à une descendance. Il en va de l’avenir de sa dynastie qui a accédé au trône de Saint-Edward quarante-neuf ans seulement auparavant. Marié à Catherine d’Aragon depuis 1509, Henri n’a toujours pas eu l’héritier mâle tant attendu. Il tourne alors le dos à Catherine pour courir se blottir entre les bras d’Anne Boleyn qui lui promet un fils. Henri veut faire annuler son mariage avec Catherine d’Aragon mais le pape Clément VII refuse. S’en est trop pour Henri VIII. Si le pape refuse d’annuler son mariage, il le fera de lui-même. Le roi Tudor crée sa propre Eglise et se proclame chef suprême de cette dernière. Clément VII est furieux et excommunie aussitôt Henri VIII. Le schisme entre l’Eglise d’Angleterre et celle de Rome vient de naître.
A partir de ce moment, l’Angleterre restera en froid avec le Saint-Siège. Pendant plus de quatre-cents ans, les relations diplomatiques resteront vaines entre les deux autorités religieuses. Mais en ce XXe siècle, l’heure est à la réconciliation.
Une princesse au Vatican
Edward VII est le tout premier souverain britannique à poser les pieds au Vatican. Voilà seulement deux années qu’il est monté sur le trône britannique lorsqu’il est reçu officiellement par le pape Léon XIII qui vit ses derniers jours. Pour la première fois, le Saint-Siège montre des signes de rapprochement avec le Royaume-Uni. En 1918, la Première guerre mondiale vient de s’achever. Le pape Benoît XV reçoit un à un les victorieux du conflit. Parmi eux, la Grande-Bretagne n’est pas oubliée. George V envoie son fils le prince de Galles le représenter auprès du pape. Mais depuis cette date, les discussions entre les deux Etats sont restées muettes.
En 1939, le pape Pie XII monte sur le trône de Saint-Pierre. Cet Italien qui avait été nonce-apostolique en Allemagne a vu la montée du nazisme. La diplomatie est son cheval de bataille. Quand la Seconde guerre mondiale éclate, il prend le parti de la neutralité pour ne pas encourager la colère d’Adolf Hitler. Ce pape diplomate l’est aussi avec les autres Eglises du monde. Le roi George VI est souffrant en 1951. Sa fille aînée et héritière Elizabeth le remplace dans ses obligations. C’est ainsi qu’elle rencontre cette année-là le souverain pontife lors d’une visite officielle au Vatican au côté du prince Philip. Pie XII devient ainsi le premier pape à rencontrer Elizabeth.
Elizabeth II et Jean XXIII, sur le chemin de la réconciliation
Le successeur de Pie XII n’est pas un pape comme les autres. Jean XXIII est profondément libéral. Il sait que l’Eglise catholique n’est pas en phase avec son époque. Il veut avant tout réformer l’Eglise et cela passe par une nouvelle politique étrangère de la part du Vatican. Il faut en finir avec cette guerre diplomatique qui dure depuis trop longtemps avec le Royaume-Uni. Elizabeth II est devenue le nouveau chef de l’Eglise d’Angleterre en 1952. La reine est en faveur d’un dialogue interreligieux, tout comme Jean XXIII. Profondément pieuse, elle n’est pas moins ouverte aux autres religions, d’autant que parmi ses sujets elle compte une minorité de catholiques.
En 1961, Elizabeth II effectue sa première visite au Vatican en tant que souveraine. Vêtue d’une longue robe noire, elle porte aussi la mantille (ce foulard noir en dentelle) retenue par une tiare. A la cour de Jean XXIII, le protocole règne. Elizabeth II ne fait pas exception et doit se plier aux exigences vestimentaires allouées aux souveraines non-catholiques. Le pape lui confie son admiration pour « la grande et noble nation britannique avec sa richesse de courage, son esprit d'initiative et sa ténacité » qui se bat pour réaliser « le grand idéal chrétien de paix, de charité et de fraternité ». Date symbolique, cette rencontre historique a lieu le jour de la fête de Pie V, le pape qui a excommunié la reine Elizabeth Ire.
Jean XXIII meurt en 1963 après avoir convoqué le Concile Vatican II qui réforme profondément l’Eglise. Son successeur Paul VI reprend la politique du pape défunt, y compris en ce qui concerne le rapprochement avec le Royaume-Uni. Il est d’ailleurs très proche de l’archevêque de Canterbury Michael Ramsey. Mais paradoxalement, il n’a jamais rencontré Elizabeth II. Quant au pape Jean-Paul Ier, il n’a pas régné assez longtemps pour perpétrer la politique anglo-pontificale de Jean XXIII et Paul VI.
Jean-Paul II, le pape de coeur d'Elizabeth II
Jean-Paul II a, dès le début de son pontificat, montré ses talents d’orateurs et une personnalité complexe. Conservateur en certains aspects, il est aussi libéral pour d’autres. Ce pape venu de l’Est de l’Europe est surtout une superstar acclamée et adorée par le monde entier. Jean-Paul II est profondément attaché aux acquis du Concile Vatican II. Lui aussi, il est très favorable au discours interreligieux et à la paix entre toutes les confessions chrétiennes. C’est dans ce contexte, qu’il rencontre Elizabeth II pour la première fois en 1980.
Au côté de son époux, elle se rend une seconde fois au Saint-Siège depuis le début de son règne pour rencontrer le jeune souverain pontife de 60 ans. Elizabeth II et Jean-Paul II sont de la même génération. Ils s’entendent à merveille. Le pape exprime sa volonté de faire une visite pastorale en Angleterre pour officialiser l’entente entre leurs deux Eglises. Elizabeth II salue cette idée avant de rentrer à Londres.
Deux ans plus tard, Jean-Paul II arrive à Londres. Pour la première fois de l’histoire, un pape établie une visite officielle au Royaume-Uni. Il est accueilli par la reine en son palais de Buckingham où elle donne un banquet en son honneur. Mais cette visite est obscurcie par la guerre des Malouines qui oppose le Royaume-Uni et l’Argentine. Les Britanniques revendiquent leur souveraineté sur des îles situées au Sud de l’Argentine. Jean-Paul II appelle à baisser les armes pour encourager la paix. Mais il n’est pas entendu et le conflit s’achève par une victoire britannique et la chute de la dictature militaire argentine.
En 2000, le pape fête le début du second millénaire. Elizabeth II rencontre une troisième fois ce pape affaibli par la maladie. Ce fut leur dernier entretien. Jean-Paul II rend son dernier souffle cinq ans plus tard. Pour montrer son attachement à ce souverain, Elizabeth II envoie le prince Charles la représenter lors de ses funérailles puis pendant sa cérémonie de canonisation.
Elizabeth II et Benoît XVI, une rencontre protocolaire
Benoît XVI monte à son tour sur le trône de Saint-Pierre. Ce pape est totalement différent de son prédécesseur. Discret, il est aussi extrêmement conservateur. Cette particularité est appréciée de la reine. Il profite de la béatification du cardinal britannique John Henry Newman en 2010 pour effectuer une visite officielle au Royaume-Uni de quatre jours.
La reine l’accueille alors en son palais de Holyrood d’Edimbourg. A l’inverse de la visite de Jean-Paul II, celle de Benoît XVI est très protocolaire. Les souverains assistent à un défiler militaire avant de s’entretenir pendant plus d’une heure. Pendant cette journée, le pape allemand a tenu à rendre hommage au courage des Britanniques et de la famille royale dans leur lutte contre le nazisme. La reine garde de profonds souvenirs de cette période troublée, elle qui a d’ailleurs servi dans la branche féminine de l’armée britannique. Elizabeth II s’est logiquement montrée profondément touchée par les paroles de Benoît XVI. Pour le pape, cette rencontre est restée comme l’une des plus importantes de son pontificat. Il finit par abdiquer de ses charges trois ans plus tard, fatigué à cause de son âge avancé.
François et Elizabeth II, en toute simplicité
Celui qui succède à Benoît XVI n’est autre qu’un Argentin qui prend le nom de François en référence à Saint François d’Assise. Le ton est donné. Le nouveau pape ne veut plus du lourd protocole qui rythme la vie de la cour pontificale. Il le juge trop aristocrate pour un homme d’Eglise. François est aussi proche des pauvres et grand défenseur de la cause des réfugiés. Avec François, c’est une Eglise de changements qui s’impose. Malgré tout, il continue à perpétrer la bonne entente entre son Eglise et celle d’Elizabeth II.
Les deux chefs d’Etat se rencontrent en 2014 dans une salle peu habituelle pour les réceptions de souverains étrangers. Le protocole étant profondément allégé, Elizabeth II arrive vêtue de couleur mauve pour la première fois dans les couloirs du Vatican. De cette façon, l’Angleterre et Rome confirment leurs bonnes relations. Pourtant, les différents sont encore présents. Plus libérale, l’Eglise d’Angleterre a accordé l’ordination des femmes et des homosexuels. Le courant est immédiatement passé entre eux, pourtant, ce n’était pas forcément évident. François a vécu dans cette Argentine en guerre contre le Royaume-Uni dans les années 1980. Pour autant, l’heure n’est pas à la rancune. Une chose est sûre, avec Elizabeth II, les relations entre la Grande-Bretagne et le Saint-Siège ne sont pas prêtes de s’essouffler.