Alan Lascelles - au service de la Couronne

Il est l’un des personnages secondaires phares de la très réussie première saison de la série signée Netflix The Crown. Alan Lascelles, surnommé Tommy par ses proches, a servi la Couronne pendant vingt-sept ans. Vingt-sept années au cours desquelles il s’est imposé comme l’un des conseillers les plus proches des trois derniers monarques britanniques. Lié aux tumultes de la monarchie britannique de ces deux décennies, quel fut véritablement le rôle de Lascelles ?

Nous vous invitons à découvrir le portrait d’un homme peu commun en qui repose finalement une partie du visage de la monarchie moderne d’outre-Manche.

Une carrière royale tardive

Nous sommes en 1920 lorsque Alan Lascelles entre au service de la Maison Windsor. Agé de 33 ans, il n’est pas un jeune homme à qui l’on offre son premier poste. Avant cela, il a eu une vie ponctuée d’une carrière professionnelle diverse.

Né en 1887 dans le Dorset, Lascelles est le cousin de Henry Lascelles, l’époux de la princesse Mary, fille unique du roi George V. Il étudie au Trinity College d’Oxford avant de partir sur le front français pendant la Première guerre mondiale. Son service militaire lui permet d’être décoré ensuite de la Croix militaire. Naît en lui un profond patriotisme qui le suivra toute sa vie.

Alors que se termine la Grande guerre, Lascelles devient aide de camp de son beau-frère Lord Lloyd, gouverneur de Bombay. Mais son poste prend fin en 1920. Il reçoit alors une lettre de son amie Letty Elcho lui proposant un nouveau poste auprès du prince de Galles Edward.

Edward VIII et Lascelles, la désillusion d'une admiration

Lascelles devient ainsi le secrétaire privé adjoint de l’héritier de la Couronne. Il écrit à un ami « j'ai une très grande admiration pour le prince, et je suis convaincu que l'avenir de l'Angleterre est autant entre ses mains que dans n'importe quel individu ». Il organise ainsi l’agenda très rempli du prince qui figure à cette époque comme la star du gotha.

Mais cette profonde admiration ne dure pas. Après quelques années de services, Lascelles comprend qu’Edward, ou David pour les intimes, est loin de correspondre à ses attentes. Le prince apprécie davantage la compagnie des femmes à l’occasion de soirées mondaines plutôt que de répondre à ses obligations. En 1929, sa décision est prise. Il démissionne sans plus tarder. « Lorsqu'il m'a demandé pourquoi je voulais le quitter, écrit Lascelles dans ses mémoires, j'ai arpenté sa chambre pendant presque une heure, lui disant, comme j'aurais pu le dire à un jeune frère, exactement ce que je pensais de lui et de tout son projet de vie, et prédisant, avec une précision qui aurait pu m'étonner à l'époque, qu'il perdrait le trône d'Angleterre. »

Pendant deux ans, il s’occupe de son épouse Joan Thesiger et de leurs trois enfants avant d’accepter un poste de secrétaire du gouverneur général du Canada Vere Ponsonby. Son travail impliqué et minutieux lui permet d’être à nouveau remarqué par la Maison royale. Au mois de novembre 1935, on lui propose la charge de secrétaire privé du roi George V. Il arrive alors à Sandringham en étant accueilli par le duc d’York qui lui apprend que le vieux monarque est souffrant. Deux mois plus tard, il rend son dernier souffle au terme de plus de 25 ans de règne.

Lascelles n’est pas oublié pour autant. Le nouveau roi Edward VIII garde le souvenir de leur mauvaise entente, mais il connait les capacités de Lascelles et décide de le garder auprès de lui. Il devient ainsi le secrétaire particulier d’Edward VIII. Mais leurs différends sont encore trop vifs et Lascelles n’a aucunement l’intention de servir cet homme qu’il méprise.

La vision monarchique de Lascelles

Lascelles est un royaliste qui ne se contente pas d’admirer son souverain, il le sacralise. Il va jusqu’à désigner George V comme « la divinité ». Sa conception de la monarchie est ainsi totalement en phase avec celle du père d’Edward VIII. La famille royale doit ainsi représenter un idéal intouchable et inviolable dont tout Britannique doit admirer et glorifier. Ainsi, l’image publique de la famille royale doit correspondre en tout point à celle d’une famille parfaite dont chaque famille britannique doit prendre comme exemple. Pour ce faire, les Windsor doivent respecter un certain nombre de valeurs, dictées par la société actuelle, et qui déterminent leurs actes et leur pensée. Pour lui, la famille royale ne doit pas se cantonner à couper des rubans et planter des arbres. Elle doit être l’incarnation vivante du système monarchique, tout en s’adaptant à son époque. Sans cela, l’avenir de la monarchie se verrait incertain.

Une fois que l’on découvre la vision de la famille royale de Lascelles, on comprend très vite les désaccords qui ont pu exister entre Edward VIII et lui. Le jeune roi n’a aucunement les épaules d’un monarque constitutionnel tel que le Royaume-Uni attend. Il aime se faire remarquer par un comportement outrageux et par des prises de parole politiques qui vont à l’encontre de sa position. En somme, il aime être adulé, mais il déteste les obligations qui sont associées au rôle d’un monarque. Les cérémonies l’ennuient, et il n’a pas l’intention de remplir son rôle diplomatique. Alors quand le roi annonce son désir d’épouser Wallis Simpson, les moustaches de Lascelles se dressent telles des cornes d’un taureau en fureur.

Lascelles et l'abdication d'Edward VIII

Edward VIII s’est amouraché d’une Américaine bientôt doublement divorcée et souhaite désormais l’épouser. Lascelles décrit Wallis Simpson comme « une Américaine opportuniste, avec deux époux vivants et dotée d’une voix criarde comme une scie rouillée ». Du haut de sa position de courtisan, secrétaire privé du roi, Lascelles fait tout pour faire entendre sa voix au sein de la Maison royale. Il ne souhaite en aucun cas voir cette femme aux mœurs si légères devenir reine. Il fait donc partie de ces conseillers de la famille royale qui ont poussé Edward VIII à choisir entre Wallis et la couronne. Pour Edward VIII, se sera Wallis.

Le soir du 11 décembre 1936, Lascelles fait les cents pas dans le parc Saint James de Londres en pensant au roi Jacques II qui avait fuit la Glorieuse Révolution en France alors qu’Edward VIII avait signé dans la matinée l’acte d’abdication. Seule la stabilité de la monarchie lui incombe, « je n'ai jamais idéalisé aucun membre de la Maison de Windsor, selon ses propres mots ». Il vit mal l’abdication qu’il considère comme « une véritable tragédie dans ma vie ».

Alors que Lascelles fait tout pour convaincre le gouvernement de ne pas accorder le retour en Grande-Bretagne du désormais duc de Windsor en exil, le désamour entre les deux hommes est consommé. Pour l’ancien roi, Lascelles a toujours été « ce serpent », un sentiment réciproque. Lascelles va plus loin puisqu’il le décrit comme « un enfant qui vivait constamment dans les contes de fées et qui avait reçu tous les cadeaux imaginables sauf une âme ».

L'ami du roi George VI

Alors que le duc d’York succède à son frère en devenant George VI, Lascelles occupe la charge de secrétaire particulier adjoint du nouveau souverain. Très proche du roi, il partage sa vision d’une monarchie proche du peuple, tout en sauvegardant les traditions ancestrales de l’institution. Proche conseiller de George VI, il aide ainsi à organiser sa tournée triomphale aux Etats-Unis et au Canada en 1939 qui préfigure la Seconde guerre mondiale. Alors que le couple royal est sur le navire qui les ramène en Angleterre, Lascelles est fait chevalier de l’ordre royal de Victoria, un honneur attribué uniquement selon le bon vouloir du souverain. Désormais anobli, le courtisan devient le garant du respect des traditions monarchiques. Plus qu’un conseiller, Lascelles est un véritable ami de George VI qui l’honore de pas moins de trois décorations. A partir de 1943, il fait même partie du Conseil privé du roi.

Lascelles a la confiance totale de George VI. Le roi bègue et anxieux a besoin d’un homme sur qui il peut s’appuyer pour affronter le poids de sa charge. Mais atteint d’un cancer des poumons, le roi rend son dernier souffle le 6 février 1952 à seulement 56 ans. Son ami et secrétaire particulier est dévasté. En lui repose désormais la tâche de servir le nouveau souverain.

 

Un fidèle de la monarchie britannique

Elizabeth II était très proche de son père, avec qui elle partageait sa timidité et son sens du devoir. Devenue reine à seulement 26 ans, elle doit apprendre à se comporter désormais en monarque. Elle se repose donc entièrement sur les hommes de confiance de son père : son Premier Ministre Winston Churchill et son secrétaire particulier Alan Lascelles. Le duo figure comme les derniers héritiers du règne de George VI au sein de la Maison royale. Mais la jeune reine Elizabeth II finit par prendre son envol seule et s’émancipe de cette « vieille garde » qui dicte ses actes et ses paroles.

Lascelles finit par prendre sa retraite le dernier jour de l’année 1953. En remerciement, la reine lui octroie un appartement au palais de Kensington qu’il considère comme « la plus belle maison d’Angleterre ». C’est entre ces murs qu’il rédige ses mémoires qui sont aujourd’hui conservés à l’université de Cambridge et qui sont, pour le moment, en partie interdits de consultation. Churchill et la reine lui propose aussi une pairie et le droit de siéger à la Chambre des Lords mais Lascelles refuse. A l’inverse, il accepte d’être fait chevalier de l’Ordre du Bain. Le 29 juillet 1981, il regarde depuis le jardin de Kensington le feu d’artifice tiré en l’honneur du mariage du prince Charles et de Diana Spencer. Ce fut le dernier feu royal de Lascelles qui meurt à l’âge de 90 ans deux semaines plus tard.


Dans l’ombre des Windsor, Lascelles fut l’un des hommes qui eurent le destin de la monarchie britannique entre leurs mains. Admirateur de George V, il a perpétré la vision monarchique du souverain au sein de la famille royale. Ennemi d’Edward VIII, il a participé à son éviction et son exil. Ami proche de George VI, il a permis la glorification de ce monarque discret au sens du devoir sans pareil. Conseiller d’Elizabeth II, il ouvrit les premières pages du plus long règne britannique. En lui repose l’histoire contemporaine de la monarchie britannique pour permettre à la famille royale d’obtenir son image actuelle de plus importante dynastie du monde. A ses yeux, seule la pérennité de cette institution comptait et le Royaume-Uni le lui rend bien.