Windsor et Orléans - Deux familles pour une entente

La France et l’Angleterre, deux voisins, deux ennemis qui ont la réputation d’être héréditaires. Pendant près d’un millénaire, le roi de France a voulu prendre le dessus sur le monarque anglais, et ces sentiments étaient réciproques. La perfide Albion va même pendant très longtemps prétendre à des droits sur la Couronne de France. Mais il est une famille qui, au contraire de ses cousins Bourbon, a souhaité faire de la famille régnante d’Angleterre une alliée, et même plus, une amie. La Maison d’Orléans voit son destin progresser au rythme de son entente avec les Windsor. L’heure est venue de vous conter l’histoire d’une relation pas comme les autres entre deux familles royales dont tout oppose.

 

Philippe d’Orléans et Henriette d’Angleterre, rapprocher la France et l’Angleterre

L’histoire entre la famille d’Orléans et la famille royale anglaise ne commence pas avec l’avènement des Windsor. Bien au contraire, c’est au cours du Grand Siècle, que débute cette amitié vouée à perdurer.

En tant que frère cadet de Louis XIV, Philippe ne doit pas faire de l’ombre à l’éclatant Roi-Soleil. Pour faire taire toutes prétentions, on lui offre le titre de duc d’Orléans et on lui laisse le soin de briller par son courage sur les champs de bataille. Mais Monsieur reste toute sa vie écarté du pouvoir, Louis XIV n’ayant pas l’intention de lui laisser une quelconque liberté. Tout ce qui concerne son frère le préoccupe. Philippe d’Orléans ne le cache pas, ses préférences se tournent vers la gente masculine. Louis XIV ferme les yeux sur l’homosexualité notoire du duc d’Orléans, tant qu’il épouse une jeune aristocrate et engendre une descendance. Il en va de la stabilité et de la légitimité de la dynastie. Si la lignée de Louis XIV venait à s’éteindre, qui régnerait sur la France ? La descendance de Philippe bien-sûr.

Pour son frère, le Roi-Soleil ne souhaite pas n’importe quel mariage. En 1660, l’année même où Louis XIV prend personnellement le pouvoir, Charles II Stuart retrouve son trône anglais après une révolution sanglante et un protectorat mené par Oliver Cromwell. La France de Mazarin avait officiellement apporté son soutien au régime cromwellien, celle de Louis XIV se voit proche de ses cousins anglais. Il est donc urgent de resserrer les liens entre les Bourbon français et les Stuart anglais qui font leur grand retour. Pour ce faire, Louis XIV conclut un mariage entre son frère Philippe et Henriette d’Angleterre, jeune sœur de Charles II. Le 31 mars 1661, Philippe épouse celle que l’on appelle désormais Madame la duchesse d’Orléans.

Le couple a cinq enfants mais seulement deux arrivent à l’âge adulte, deux filles Marie-Louise d’Orléans devenue reine d’Espagne et Anne-Marie d’Orléans devenue reine de Sardaigne. Mais leur mariage est tout sauf harmonieux. Philippe jalouse l’influence d’Henriette sur Louis XIV qui l’apprécie, au point de soupçonner l’existence d’une relation extra-conjugale entre les deux protagonistes. Henriette ne supporte pas la présence des amants de son époux, en particulier celle de son favori le chevalier de Lorraine. Elle obtient donc du roi l’exil du chevalier. Louis XIV appréciant tellement sa belle-sœur, il l’envoie en Angleterre visiter Charles II en 1670 pour négocier le traité de Douvres qui scelle définitivement le rapprochement entre la France et l’Angleterre.

Deux semaines après être rentrée d’Angleterre, elle est prise de violentes douleurs après avoir bu un verre de chicorée. Quelques heures plus tard, elle rend son dernier souffle à l’âge de 26 ans. Aussitôt, des rumeurs d’empoisonnement par les amants de Philippe font leur apparition. La mort soudaine de la duchesse venue d’Angleterre demeure un mystère et a de lourdes conséquences sur les relations entre les Orléans et la famille royale britannique. Pendant plus d’un siècle, leur rapprochement trouve lettre morte, restant hanté par la mort violente d’Henriette.

 

La monarchie de Juillet contre un siècle d’anglophobie

Malgré tout, l’alliance franco-britannique souhaitée par le trait de Douvres demeure. Français et Anglais affrontent côte à côte leurs ennemis lors des guerres anglo-néerlandaises (1672-1674) et de Hollande (1672-1678). Mais les prétentions françaises et britanniques de domination européenne sont trop fortes pour sauvegarder l’alliance. La guerre de la Ligue d’Augsbourg (1688-1697) ouvre un long chapitre de querelles franco-britanniques qui ne se refermera qu’à l’avènement de la reine Victoria.

Victoria monte sur le trône de Grande-Bretagne en 1837. Cette jeune souveraine de 18 ans est profondément francophile. Enfant, elle apprend le français au point de pouvoir lire les œuvres de Molière et de Racine. A la différence des autres membres de sa famille, face à la figure imposante de l’empereur Napoléon Ier, l’ennemi incorruptible de l’Angleterre, elle est véritablement admirative. Pour elle, il est la quintessence du souverain puissant, qui sut s’imposer comme l’un des plus grands monarques de son temps. Dès son avènement, Victoria ne souhaite qu’une chose : instaurer un empire plus puissant encore que celui de Napoléon.

De l’autre côté de la Manche, une monarchie constitutionnelle a été instaurée sous la figure de Louis-Philippe Ier. Ce dernier est le descendant direct de Philippe d’Orléans, frère de Louis XIV, et de sa seconde épouse la princesse Palatine. Nous sommes en 1830 lorsque le duc d’Orléans est proclamé roi des Français par la Chambre des députés après la révolution des Trois Glorieuses qui pousse Charles X à l’exil. C’est donc par la voie du peuple que la branche cadette des Bourbon s’impose comme la famille à suivre désormais. Contrairement à ses cousins Bourbon, Louis-Philippe est particulièrement anglophile. Celui qui fut d’abord partisan de la Révolution a été contraint à l’exil par le Directoire. En 1800, il s’installe en Angleterre et pense pendant un temps à accepter la proposition de mariage de George III avec sa fille Elizabeth, mais en vain. Son exil anglais lui permet d’apprendre à connaître le mode de vie britannique, et surtout sa monarchie parlementaire. Il voit en elle le régime idéal pour calmer les ardeurs de la France révolutionnaire.

L’époque est au rapprochement. Victoria veut faire de la France un allié. Au terme de deux années de négociations entre les ministres des Affaires étrangères François Guizot et Lord Aberdeen, elle suggère une rencontre avec Louis-Philippe. L’insistance royale porte ses fruits. Le 2 septembre 1843, Victoria et son époux embarque sur le yacht Victoria et Albert, direction la France.

 

Victoria et Louis-Philippe, la reine protocolaire face au roi bourgeois

Mais cette visite secrète doit paraître impromptue. Dans le contexte d’une croisière sur la mer d’Opale, le couple britannique fait une escale à Tréport, en Normandie. Accueillis par Louis-Philippe et son épouse la reine Marie-Amélie, les couples royaux se dirigent vers le château d’Eu, propriété privée de la famille d’Orléans. C’est entre ses murs, que Louis-Philippe et Victoria apprennent à se connaître. S’ils ne se sont jamais rencontrés auparavant, les deux monarques ont tout de même des liens. La fille aînée du roi des Français, Louise, est mariée au roi Léopold de Belgique, oncle de Victoria et Albert. Ce lien familial permet au roi bourgeois d’organiser un séjour familial, convivial et chaleureux.

Pour la première fois depuis 1520, un souverain britannique met les pieds en territoire français. Entourés de leurs familles respectives, Louis-Philippe et sa « chère petite reine » s’admirent. Si le chef de la Maison d’Orléans de 70 ans aime la grâce et la majesté naturelle de Victoria, la reine anglaise de 26 ans est impressionnée par sa stature imposante mais chaleureuse. Soirées, concerts, pique-niques, ballades et spectacles font de cette visite une réussite.

Véritablement satisfait, Louis-Philippe promet de se rendre par la suite en Angleterre. Chose promise, chose due. Un an plus tard, il est reçu au château de Windsor. Il est alors le premier souverain français à visiter l’Angleterre. La reine souhaite montrer son attachement au monarque. Elle le fait chevalier de l’Ordre de la Jarretière avant de renouveler sa visite au château d’Eu en 1845. Mais la monarchie de Juillet et le Royaume-Uni n’ont pas le temps de concrétiser une alliance officielle. En 1848, Louis-Philippe abdique au terme d’une révolution. Preuve de son attachement à la famille d’Orléans, Victoria vient au secours de son homologue français. Elle lui accorde l’exil en Angleterre et met à sa disposition la propriété de Claremont.

 

Le royalisme français divisé

Dans cette vaste propriété mal chauffée, la famille d’Orléans vit le deuil de sa gloire passée. Louis-Philippe est vieillissant et il a besoin des siens pour affronter ces jours difficiles. Entouré de sa grande famille, il meurt le 26 août 1850 avant d’être inhumé dans la petite ville anglaise de Weybridge où vient le rejoindre son épouse Marie-Amélie en 1866. Dix ans plus tard, leurs dépouilles sont ramenées en France, en la chapelle Saint-Louis de Dreux, la nécropole des Orléans.

La probabilité d’un retour de la monarchie en France n’est pas morte avec la disparition de Louis-Philippe. Les descendants de Charles X sont toujours vivants et sont représentés par Henri comte de Chambord. Mais ce dernier meurt sans descendance en 1883. Sa disparition divise la cause royaliste française en deux camps : les légitimistes qui soutiennent les prétentions de Juan de Borbon issu de la branche espagnole de la famille, et les orléanistes qui mettent en avant celles du petit-fils du roi déchu, Philippe d’Orléans comte de Paris.

 

Bertie orléaniste ?

Celui que les orléanistes appellent Philippe VII a finalement réussi à retourner en France pour se créer un rôle politique d’envergure voué à la cause royaliste. Le retour de la monarchie en France n’est pas une probabilité imaginaire. Il est un homme qui croit réellement que cette possibilité pourra s’accomplir. Le prince de Galles Edward, affectueusement surnommé Bertie, est véritablement francophile. Amoureux de Paris et de ses plaisirs, il aime aussi le style de vie à la française, comme le climat doux de ce pays qui s’oppose à celui d’Angleterre. Qu’elle soit un empire, une république ou une monarchie, Bertie aime la France et les Français le lui rendent bien. Il est un prince qui met sa popularité au service des relations franco-britanniques. Ses séjours français sont fréquents, et une fois devenu roi, il continue son histoire d’amour avec le pays de la langue de Molière.

Bertie s’entend bien avec Philippe avec qui il partage ses visions politiques et diplomatiques, mais c’est avec Henri d’Orléans, duc d’Aumale, qu’il partage davantage de points communs. Le fils de Louis-Philippe apprécie la mode, les arts et la vie de débauche, entouré de nombreuses maîtresses. Dans son majestueux domaine de Chantilly qu’il a transformé en véritable musée, le duc d’Aumale invite souvent Bertie à l’une de ces soirées mondaines qu’il apprécie. A l’inverse, le duc d’Aumale fait partie du cercle de proches amis du prince de Galles dans sa demeure privée de Sandringham.

En 1883, Philippe d’Orléans organise un fastueux mariage largement couvert par les médias pour sa fille aînée Amélie avec le prince héritier du Portugal Carlos à l’hôtel Matignon. Les républicains sont consternés par cet événement populaire qui fait écho à un régime qui fait de l’ombre à la République, d’autant que ses représentants n’y sont pas conviés. Le 22 juin 1886, une nouvelle loi d’exil pour tous les membres de familles ayant régné en France oblige à nouveau les Orléans à quitter le pays. Victoria, en tant qu’amie, s’impose à nouveau comme le sauveur de l’ancienne famille régnante. Philippe d’Orléans arrive en Angleterre et s’installe à Stowe House pour y terminer ses jours en 1894 comme son grand-père avant lui.  

 

L’Angleterre, terre d’exil

Le nouveau chef de la Maison d’Orléans, Philippe duc d’Orléans, est toujours aussi proche de la famille royale britannique. Né en Angleterre en 1869, il entre à l’école militaire de Sandhurst sans concours, par ordre de la reine Victoria en personne au titre de fils aîné d’un chef de Maison royale. Quand meurt son père, Bertie vient rapidement lui présenter ses condoléances ainsi que celles de la reine Victoria.

Le duc d’Aumale quant à lui avait obtenu l’autorisation de retourner en France en 1889. Il a besoin de remercier à sa manière cette famille anglaise qui a tant fait pour la sienne. Parmi les œuvres de Chantilly, il ajoute des miniatures peintes entourées de diamants représentant la reine Victoria et certains membres de la famille royale dans sa collection. De cette manière, la famille royale britannique se trouve à jamais liée à l’histoire des Orléans et de Chantilly.

Edward VII monte sur le trône britannique en 1901, il se place comme le créateur de l’Entente cordiale qui rapproche le Royaume-Uni à la France. Si publiquement il ne peut plus montrer ses sympathies avec les Orléans, au vu de l’entente qui règne avec la République, il n’en oublie pas moins cette famille. Pour preuve, lorsqu’il meurt en 1910, c’est Philippe d’Orléans qui représente les royalistes français lors de ses funérailles. Trois ans plus tard, il décide de quitter l’Angleterre pour la Belgique.

Les relations entre la famille royale britannique et les Orléans sont au plus bas. Philippe demande l’autorisation à George V d’entrer dans l’armée britannique quand éclate la Première guerre mondiale, mais le roi refuse. George V est allié à la France républicaine dans un conflit sans précédent, il ne peut se permettre d’apporter son soutien à une ancienne famille royale, d’autant que les monarchies tombent en Europe. Le Portugal s’est muté en une république, obligeant Manuel II, fils d’Amélie d’Orléans, à s’exiler lui aussi en Angleterre. George V doit avant tout protéger sa couronne. C’est ainsi qu’il change le nom de la famille royale Saxe-Cobourg et Gotha en Windsor en 1917. Philippe d’Orléans meurt finalement en 1926 sans descendance. Les prétentions au trône de France sont léguées à son cousin Jean d’Orléans duc de Guise qui doit s’établir en Belgique.

 

Windsor et Orléans, l’entente jamais éteinte

Le duc de Guise meurt en 1940 sans jamais avoir pu retourner en France. C’est à son fils Henri, qui devient comte de Paris, que revient la charge de représenter la Maison d’Orléans. Dix ans plus tard, la loi d’exil de 1886 prend définitivement fin. Le comte de Paris peut enfin faire son grand retour dans l’Hexagone après plusieurs années à errer entre la Belgique, le Maroc, l’Espagne et enfin le Portugal.

Toute sa vie, le roi George VI s’est refusé à recréer des liens avec les Orléans. La Seconde guerre mondiale et l’Entente cordiale avec la République française l’expliquent facilement. En 1952, c’est au tour d’Elizabeth II de monter sur le trône de Saint-Edward. La reine est francophile. Attachée à ce pays, elle ne veut certainement pas se mettre à dos la République. D’autant qu’il n’est pas dans le caractère de la reine de prendre position politiquement, mettant son rôle de monarque constitutionnel avant toute chose. Mais en 1981 un nouveau Président de la République est élu. Avant de devenir président, François Mitterrand s’était rapproché de mouvements royalistes durant sa jeunesse comme l’Action française. De plus, il compte parmi ses proches amis Bertrand Renouvin, un royaliste qu’il nomme membre du Conseil économique, social et environnemental.

En 1992, la reine est en voyage officiel en France. Pour le dîner d’Etat au palais de l’Elysée, François Mitterrand invite le comte de Paris qui se présente avec sa fille Chantal. Par cette invitation, le président permet à l’arrière-petite-fille de Victoria de rencontrer l’arrière-petit-fils de Louis-Philippe. Le geste de François Mitterrand est particulièrement fort. Il reconnait le rôle essentiel dans l’Histoire de ces deux familles, tout en montrant que la famille capétienne qui a veillé à la destinée de la France pendant huit siècles ne saurait en être éloignée. Quand Henri se présente à la reine, il est le seul de l’assistance à qui elle tend sa main gantée pour un baise-main protocolaire. Elizabeth II a le goût des symboles. Quelle est la signification de ce baise-main ? A-t-elle officieusement reconnu l’importance du comte de Paris ? Le mystère demeure.

Mais il est un membre de la famille royale britannique qui demeure très proche du comte de Paris. La princesse Alexandra de Kent, cousine préférée d’Elizabeth II, vit pendant un an dans les années 1950 au manoir du Cœur Volant à Louveciennes, entre Versailles et Saint-Germain-en-Laye, résidence de Henri d’Orléans jusqu’en 1976. Peu après son mariage en 1963, elle rend visite au comte et à la comtesse de Paris pour leur présenter son époux l’Honorable Angus Ogilvy. Dès lors, les événements du gotha sont l’occasion de se retrouver comme en 1965 lors d’un bal donné en l’honneur de la princesse à la Chambre des commerces britannique à Paris.

 

Windsor et Orléans ont toujours entretenu des relations étroites. Si les prémices de cette entente s’est achevée par un drame, c’est avec Victoria et Louis-Philippe que naît réellement l’amitié franco-britannique entre deux Maisons royales. Au cours du temps, les familles royales d’Angleterre et de France ont continuellement gardé des liens étroits qui ont rythmé leur histoire, et cela malgré les malheurs du temps. L’histoire franco-britannique n’aurait pu s’écrire sans l’intervention de ce duo inséparable. Jusqu’au comte de Paris Henri d’Orléans, le rappel de la rencontre entre Victoria et Louis-Philippe fut constant. Sa rencontre avec Elizabeth II s’impose comme une évocation évidente que la France d’aujourd’hui ne saurait d’affranchir de son passé et de son Histoire.