Série télévisée débutée en 2010 devenue culte avec les aventures de la noble dynastie des Grentham, Downtown Abbey a propulsé l'un des plus vastes châteaux de l'Angleterre, Highclere, en icône planétaire. La propriété appartient toujours à ses possesseurs d'origine, les comtes de Carnavon. On peut comparer Dowton Abbey et son univers à la série française Au plaisir de Dieu qui fut diffusée à la télévision en 1977, série qui avait popularisé les aventures de la famille imaginaire des Plessis-Vaudreuil confrontée aux mutations du monde moderne ; le château de Saint-Fargeau cristallisant durablement les passions des téléspectateurs, déclenchant ultérieurement le sauvetage de la bâtisse par les frères Guyot.
Dans la France de 2021, il existe un lieu équivalent à Highclere par son architecture et par son prestige ; il s'agit du château de Ferrières-en-Brie, construit par la branche française des Rothschild mais sorti du domaine familial dans les années 1980.
La vogue du néogothique et l'anglomanie
A Highclere comme à Ferrières, les architectes (Charles Barry et Joseph Paxton) étaient des sujets de Sa Gracieuse Majesté. Barry construisit aussi le parlement de Westminter et Paxton le Crystal Palace pour l'Exposition universelle de 1855. Cette nationalité britannique est assez logique dans le cas d'une construction en Angleterre, tandis que dans celui d'un château français, elle plutôt de l'anglomanie qui dominait au sein des élites françaises sous le second Empire. Au XIXème siècle, la vogue des styles "néo" s'accompagne d'une réinterprétation des styles anciens en les adaptant aux fonctionnalités nouvelles des intérieurs de l'époque de Victoria et de Napoléon III ; et à la pierre et aux bois, dont l'usage est de tradition dans la construction, s'ajoutent le fer forgé et la fonte. Anticipant les folles architectures des gratte-ciel de Manhattan, les grands châteaux néogothiques anglais et français outrepassent leurs modèles historiques, n'étant en aucun cas des reconstitutions érudites mais de véritables créations stylistiques.
A Highclere comme à Ferrières, forts de la fortune de leurs commanditaires, les architectes ont pu faire rimer le faste avec le confort. Ces deux gigantesques demeures devaient répondre aux aspirations "modernes" de l'aristocratie, lesquelles étaient identiques chez les descendants d'antiques lignages et chez les banquiers enrichis.
Dans ces deux demeures, on retrouve le principe du carré terminé par des tours d'angles aussi quadrangulaires, ainsi que le "grand hall", éclairé par une verrières sommitale et doté de galeries d'étage d'où le regard plonge sur les invités. A Highclere comme à Ferrières, au nombre des pièces de réception et des chambres doit répondre le nombre de domestiques, soit plusieurs dizaines, hiérarchisés et régis comme au régiment sous les ordres d'un majordome et d'une gouvernante.
Des têtes couronnées en visite
Le film Downtown Abbey inspiré de la série éponyme tourne autour de la visite du roi Georges V et de la reine Mary, visite qui suscite un véritable "cyclone" en sous-sol auprès des domestiques de la Maison Grantham, le staff royal étant censé les remplacer durant le séjour des augustes visiteurs.
A Ferrières nouvellement construit, la première visite de marque fut celle de Napoléon III, venu y chasser en 1862. Trace vivante de son passage encore aujourd'hui, le cèdre qu'il planta ce jour-là...
Des destinées divergentes
A l'instar des imaginaires comtes de Grentham, les authentiques comtes de Carnavon surent s'adapter aux évolutions économiques et sociales du XXème siècle et ils occupent encore la demeure ancestrale, où rien ne semble avoir bougé depuis la Belle Epoque... Le tournage de la série puis du film Downtown Abbey a créé pour le domaine un intérêt touristique sans précédent (réservations sur le site www.highclerecastle.co.uk), et l'histoire romanesque due au talent de Julian Fellowes est en passe d'effacer celle des Carnavon dans la mémoire des visiteurs.
A l'inverse, Ferrières a quitté le patrimoine des Rothschild. Vivant acteur du cauchemar qui, dans Downton Abbey, hante Lord Robert Grantham, le baron Guy de Rothschild, qui finança une coûteuse restauration dans les années 1960, dut finalement se résoudre à se défaire d'une propriété devenue par trop dispendieuse, et surtout dépassée en terme de mode de vie. Son choix généreux d'offrir le domaine de Ferrières à l'Université de Paris s'avéra une erreur, les chanceliers successifs s'avérant incapables de doter les lieux d'un projet culturel digne de ce nom. Aussi les enfants du donateur obtinrent la restitution du domaine, qu'ils léguèrent aussitôt à la Ville de Ferrières, laquelle noua un partenariat avec des investisseur privés pour l'ouverture sur le site d'une École de l'Excellence à la française formant aux métiers de l'hôtellerie, de la gastronomie et du luxe (www.chateaudeferrieres.com). En dehors de l'activité d'enseignement, le château n'est plus accessible au public que par la location d'espaces de réception dans les anciens salons d'apparat.
La magnifique réalisation de Downtown Abbey laisse imaginer ce qu'aurait pu être une saga télévisée tournée à Ferrières... Encore eût-il fallu un bon scénariste, des acteurs de qualité égale et un château disponible.