Prince Philip et la France

« Nous sommes des voisins. Nous pouvons avoir des relations tout à fait différence parce que c’est comme dans le mariage, il y a toujours quelques nuages. » Le prince Philip résume avec ses mots simples et son humour piquant les relations qui lient le Royaume-Uni à la France. Ce prince francophile avait fait de la France et de sa culture l’une de ses passions. La longue vie du duc d’Edimbourg s’écrit aussi en français.

 

L’enfance française du prince Philip

La guerre gréco-turque fait rage en Grèce quand naît le prince Philip en 1921. Son père, le prince André, est condamné à mort par un simulacre de procès avant que la Grèce ne tombe aux mains des Turcs. Il a seulement 18 mois lorsqu’il embarque avec ses parents et ses quatre sœurs aînées sur un navire envoyé par le roi George V pour les secourir. Sa mère, la princesse Alice de Battenberg, utilise une caisse d’oranges pour le coucher pendant tout le voyage qui les emmène en Angleterre. Philip et sa famille vivent alors tels des princes sans domicile fixe entre le Royaume-Uni et l’Allemagne. En 1927, c’est finalement vers la France que se tourne cette famille désargentée en exil.

Marie Bonaparte et Georges de Grèce, un oncle du prince Philip, les accueillent dans leur somptueuse villa de Saint-Cloud en banlieue parisienne. Le couple richissime leur prête une maison située rue du Mont-Valérien. A cette époque, la famille n’a pas un sou et doit s’obliger à vivre de manière modeste. Philip a désormais 6 ans. Sa mère décide de le scolariser.

Elle l’inscrit à l’école américaine les Ormes située le long de l’avenue Eugénie de Saint-Cloud dans une ancienne demeure de Jules Verne. Demi-pensionnaire, il fait le trajet chaque jour à pied puis avec un vélo qu’il achète avec ses propres économies. Le fondateur de l’établissement Donald MacJannet impose un régime de vie qui associe le sport aux études. Le prince Philip apprend alors le français qu’il doit obligatoirement parler pendant les repas avec ses camarades. Il découvre aussi la culture et toute la beauté de la France : ses traditions, son patrimoine, ses savoir-faire et la vie quotidienne des habitants. Celui que Donald MacJannet décrivait comme un élève « turbulent et doté d’une très forte personnalité, mais toujours remarquablement poli » voit naître en lui une francophilie qui ne le quittera plus jamais.

Mais en 1930, Philip est envoyé continuer sa scolarité au Royaume-Uni et vivre au palais de Kensington auprès de sa grand-mère maternelle. Plusieurs décennies plus tard, il décrit cette période française de sa vie comme « les trois plus belles années de son existence ».

 

Un couple royal francophile

Dix-sept ans après son départ de l’Hexagone, Philip épouse l’héritière du trône britannique la princesse Elizabeth. Les deux jeunes gens partagent un point commun méconnu : ils étaient tous les deux francophiles. Elizabeth comme Philip parlent un français parfait et apprécient particulièrement la culture française. Ensemble, ils font leur premier voyage officiel à l’étranger en 1947 en France pour resserrer les liens entre les deux pays au lendemain de la Seconde guerre mondiale. Le couple rencontre le président Vincent Auriol qui met Paris à leurs pieds pendant un voyage triomphal.

Quand Elizabeth II monte sur le trône en 1952, le couple n’oublie pas la France. Ils traversent une nouvelle fois la Manche en 1957 au lendemain du fiasco de la crise du canal de Suez et rencontrent René Coty. Là encore, le président fait tout pour éblouir le couple : réceptions à l’opéra Garnier et au palais de l’Elysée et croisière sur la Seine.

 

Des voyages français pour la défense de l’environnement

Quatre ans plus tard, le prince Philip devient le premier président du fond mondial pour la nature du Royaume-Uni surnommé WWF. Le prince occupe alors la seconde plus grande fonction de sa vie. L’écologie a une grande importance à ses yeux et c’est pour défendre cette cause qu’il se rend à Paris en 1966 pour un voyage privé en solo en répondant à l’invitation de Charles de Gaulle. Les deux hommes s’étaient déjà rencontrés pendant la Seconde guerre mondiale. Le président organise un déjeuner au Grand-Trianon de Versailles qu’il vient tout juste de faire restaurer et un dîner d’Etat à l’Elysée. Le prince Philip devient ainsi le premier convive étranger du petit palais versaillais depuis la fin des travaux. « La tache de cette association serait beaucoup plus facile s’ils ne devaient pas commencer par éliminer l’image d’après lesquels les Anglais passent leur temps à boire du thé dans des maisons sans chauffage entourés d’un brouillard permanent. »

En mai 1972, Elizabeth II et Philip effectuent leur second voyage officiel en France auprès de Georges Pompidou. La veille de l’entrée du Royaume-Uni dans l’Union européenne, le couple est dépêché pour une tournée de charme diplomatique. Deux ans plus tard, le prince Philip se rend dans le Bordelais pour un voyage privé où il célèbre la gastronomie française. « Merci pour le soin et le talent que vous apportez à la culture de vos vignes et de la fabrication de vos vins. Merci d’avoir ajouté une dimension nouvelle à l’art et à la joie de vivre. »

De son français élégant, le duc d’Edimbourg n’aura de cesse de mettre en exergue son amour pour la France et l’écologie. Il accompagne son épouse en 1992 pour rencontrer François Mitterrand pendant un voyage officiel. Il se rend ensuite dans le Doubs en 1995 en tant que président du WWF à l’invitation des opposants du projet de canal à grand gabarit Rhin-Rhône. Mais il ne prendra pas officiellement partie pour échapper à tout incident diplomatique. « La décision finale appartient au peuple et au gouvernement du pays concerné. Tout ce que je voudrais faire c’est encourager le peuple qui devra se prononcer sur cette importante décision à assurer d’avoir pris en considération tous les impacts. » L’année suivante, il est dans la Loire pour stopper un projet de barrage sur le fleuve au nom de la défense de la nature.

Pendant les années 2000, le duc d’Edimbourg ne vient en France que lors du voyage officiel de son épouse en 2004 pour fêter les 100 ans de l’Entente cordiale.

 

Une francophilie au service de la mémoire

En tant que vétéran de la Seconde guerre mondiale, il n’a jamais manqué les grands anniversaires du Débarquement de Normandie aux côtés de la reine. Les 70 ans du Débarquement sont alors l’occasion pour le couple royal d’effectuer son dernier voyage en France. Après avoir assisté à la cérémonie officielle avec tous les grands chefs d’Etat du monde, il se rend à Paris pour être reçu à l’Hôtel de Ville et à l’Elysée, et inaugurer un marché aux fleurs au nom de la souveraine. 

Le prince Philip aura rencontré tous les présidents français de la IVe et la Ve République. Si Elizabeth II a su tisser une réelle amitié avec François Mitterrand, Philip aura quant à lui une profonde affection pour Charles de Gaulle. Ils partageaient tous deux une autorité innée et une fraternité des armes et de la guerre. Son profond respect de la France libre le rapproche encore davantage du général.

 

« On a entendu des Anglais désigner des Français sous le nom de grenouille mais je m’abstiendrai de répéter les termes employés par les Français pour faire allusion aux Anglais. » Chacune des visites françaises de Philip lui a permis de retourner dans ce pays qui a su lui tendre les bras aux heures les plus précaires de sa vie. Ses devoirs d’époux de la souveraine britannique et ses convictions écologiques l’amenèrent à traverser la Manche à de nombreuses reprises. Francophile depuis l’enfance, il vécut pleinement, et néanmoins discrètement, son amour pour le pays de la langue de Molière.