God save... le Roi ?

Il est l'un des hymnes anglais les plus célèbres. Chanté à toutes les cérémonies royales, pendant les matchs de football, ou encore à chaque commémoration nationale. Hymne de toute une nation, entièrement dédié à la figure de son souverain, quelle est la véritable histoire du God save the Queen (ou God save the King, en fonction du sexe du monarque) ? On vous dévoile les secrets de l'hymne national britannique !

Une légende flatteuse pour les Français

Louis XIV of France

Déjà la devise de la Couronne britannique est dans la langue de Molière (« Dieu et mon droit ») ; Mais l’hymne national du Royaume-Uni aurait des origines françaises… C’est en tout cas ce qui est affirmé dans un ouvrage publié en 1845, les Souvenirs de la marquise de Créquy (ouvrage douteux quant à l’identité réelle de son auteur), où il est narré qu’à l’apparition de Louis XIV à la tribune de la chapelle de l’école de Saint-Cyr, la chorale des élèves entonnait, « à l’unisson », « une sorte de motet, ou plutôt de cantique national et glorieux, dont les paroles étaient de madame de Brinon et la musique du fameux Lully ». Madame de Brinon ayant été la supérieure de cette institution vouée à l’éducation des jeunes filles nobles de pauvre souche.

Le texte du cantique, qui aurait été composé en 1686 à l’occasion de la guérison du Roi Soleil d’une fistule annale, se rapproche effectivement beaucoup du God save the King.

Grand Dieu, sauvez le Roi !
Grand Dieu, vengez le Roi,
Vive le Roi !
Qu’à jamais glorieux
Louis victorieux
Voye ses ennemis
Toujours soumis

Pour la musique, l’auteur renvoyait ses lecteurs outre-Manche, « attendu qu’un Allemand, nommé Handel, s’en est emparé pendant son voyage à Paris, qu’il en a fait un hommage au roi George de Hanovre moyennant finance, et que MM. les Anglais ont fini par l’adopter et le produire ouvertement comme un de leurs airs nationaux ». D’autres sources datent de 1714 le voyage de Haendel en France, en précisant qu’à son retour en Angleterre, le musicien aurait demandé au poète Henry Carey de lui traduire le couplet de madame de Brinon. La paternité de Lully au God save the King sera reprise par Hector Berlioz dans son ouvrage satirique Les Grotesques de la musique (1859).

Le problème avec cette théorie, c’est qu’elle ne colle pas avec la chronologie. D’abord, c’est qu’à Saint-Cyr, fondée en 1686, Lully ne figurait pas parmi les musiciens attitrés de l’école (c’étaient alors Jean-Baptiste Moreau et Pascal Collasse) ; ensuite, c’est que l’édit royal de Fontainebleau de 1685 interdisait désormais les chants liturgiques en français ; en outre, sous Louis XIV, c’est le Te Deum qui est chanté pour glorifier le souverain. 

Autre problème, Georg Friedrich Haendel n’a jamais séjourné en France ; enfin, même si George Seville Carey revendiqua en 1799 la création du God save the King par son père, le roi d’Angleterre, sollicité pour une entrevue (et une pension afférente), la refusa.

Les traces vérifiables

Une mélodie assez proche du God save the Queen se trouve dans une pièce pour clavicorde de John Bull au sein de l'Oxford Companion to Music en 1619. Par ailleurs, Henry Purcell a composé plusieurs pièces titrées « God Save the King », l’une d’entre elle intégrant les notes d'ouverture de l’actuel hymne britannique. Des recherches récentes évoquent une origine de création de l’hymne à l’époque du roi catholique Charles II et mentionnent l’exécution en 1688 d’un cantique intitulé God Save Great James our King » par les supporters de la dynastie Stuart. 

C’est en 1744 qu’est donnée une édition définitive de la musique du God save the King au sein du Thausaurus Musicus. Cette pièce, qui fut peut-être un air de dance à l’origine, acquiert un an plus tard sa popularité, mais là encore les théories divergent. Pour les uns, ce seraient les partisans de Jacques François Stuart (le fils du roi d’Angleterre détrôné Jacques II, exilé en France en 1689), qui auraient entonné cet hymne versaillais (que Jacques II avait adopté) lors de sa tentative de prise du pouvoir en Ecosse, à Prestonpans (près d’Edinburgh) en septembre 1745.

De l’autre côté, pour les partisans de la dynastie hanovrienne, c’est justement l’émotion suscitée à Londres par les nouvelles d’Ecosse (la tentative du prétendant Stuart) qui incitèrent le chef de l’orchestre du Theatre Royal, Drury Lane, à exécuter le God Save The King à l’issue d’un concert, déclenchant l’enthousiasme et créant ainsi un précédent. 

En France durant la Révolution, l’hymne britannique sert de support à une complainte sur les malheurs du petit Louis XVII (Almanach catholique et royaliste, 1793).

De notre jeune Roi, 
Prends pitié! Dieu puissant,
Dieu bienfaisant!
Contre les oppresseurs que ton bras foudroyant
Signale son pouvoir ; c'est l'effroi du méchant.

C'est le fils de Louis
C'est le sang de Henri,
Ce sang chéri.
Que ces titres sacrés t'intéressent pour lui, 
Dieu juste, des bons Rois, Tu dois être l'appui.

Il est infortuné ce jeune et faible Roi,
Tu sais pourquoi
Il est fils de ces Rois, protecteurs de ta loi, 
Protège un tel enfant, venge le, 
Venge toi.

Grand Dieu, du haut des cieux 
Ecoute tes sujets,
Les vrais Français,
Dans leurs justes douleurs, 
Exauce leurs souhaits 
Sauve le Roi, la France et leur donne la paix.

En 1814, l’air du God save the King est associé au roi de France restauré, comme l’atteste une composition de circonstance, intitulée Louis XVIII ou le retour du bonheur en France et due à l’organiste de Saint-Gervais, Gervais-François Couperin (reconnaissable à la séquence 7:02 dans cet enregistrement). Au même moment, un autre compositeur, ô combien célèbre mais associé au souvenir de la République, Claude-Joseph Rouget de Lisle (le « père » de la Marseillaise !) propose à Louis XVIII un nouvel hymne national résolument monarchique.

 
Vive le Roi !
Noble cri de la vieille France,
Cri d'espérance
De bonheur d'amour et de foi !
Trop longtemps étouffé par le crime et nos larmes
Éclate plus brillant et plus rempli de charmes.
Vive le Roi !
Vive à jamais, vive le Roi !


Une vidéo permet d’en « apprécier » la musique. Mais Louis XVIII la refusa, peut-être en raison de la personnalité trop marquée de son auteur… 

Un autre aller-retour encore, entre le Royaume-Uni et la France, à la fin du XXème siècle cette fois. Soucieux de solenniser ce qui fut d’abord le Chant de guerre pour l’armée du Rhin, le président Giscard d’Estaing, très marqué par sa visite d’Etat en Grande-Bretagne, demanda à ce que l’on ralentisse le rythme d’exécution de la Marseillaise lors des cérémonies officielles… ce qui lui fut reproché comme un travers monarchique par ses opposants.

Alors ? Le God save the Queen est-il a French heritage ou une oeuvre made in England ? Vérité historique ou intox ?... Comme dit le proverbe, « Vérité en deçà, erreur au-delà », selon que l’on se trouve d’un côté ou de l’autre de la Manche. En attendant, les hymnes nationaux de nos deux Nations sont pareillement porteurs d’émotion quand ils sont interprétés lors des cérémonies binationales, comme c’était cas le 11 novembre 2018 en la cathédrale Notre-Dame de Paris.