Le Commonwealth of Nations

L'Empire britannique a Ă©tĂ© pendant prĂšs d'un siĂšcle la plus grande puissante du monde. Mais cet empire colonnial est vouĂ© Ă  disparaĂźtre. Les indĂ©pendances se cumulent au cours du milieu du XXe siĂšcle. Face Ă  ce phĂ©nomĂšne, le Royaume-Uni doit rĂ©agir. Dans son dĂ©sir de sauvegarder une aura qui semble s'essoufler, elle doit rapidement rĂ©former son empire. Ainsi naĂźt le Commonwealth of Nations. L'organisation a une place de choix dans le paysage britannique. Et pour cause, avant mĂȘme d'ĂȘtre reine du Royaume-Uni, Elizabeth II se considĂšre avant tout comme le chef du Commonwealth. Mais alors qu'est-ce que le Commonwealth ? A quoi sert-il ? Comment est-il reprĂ©sentĂ© ? Quel est son avenir ? Pour un Français, l'organisation peut paraĂźtre floue. Nous sommes lĂ  pour vous Ă©clairer sur l'une des plus organisations du monde.

 

Qu'est-ce que c'est ?

Avant de nous intĂ©resser Ă  l’histoire mĂȘme de la crĂ©ation de cette organisation, il convient d’en prĂ©senter les grandes lignes. Commençons par quelques chiffres qui me semblent ĂȘtre assez Ă©difiants et qui nous permettent d’avoir dĂ©jĂ  un aperçu de ce qu’il reprĂ©sente. De son nom complet, le Commonwealth of Nations – la CommunautĂ© des Nations - comprend actuellement 53 membres, rĂ©partis sur tous les continents, pour une population totale de 2.4 milliards d’habitants. Cela reprĂ©sente le quart des pays reconnus par les Nations Unies, et pas moins d’un tiers de la population mondiale. Au sein de ces 53 nations, trois regroupent 80% des habitants, Ă  savoir l’Inde, le Bangladesh et le Pakistan, et le continent le plus reprĂ©sentĂ© est l’Afrique, avec 19 pays membres.

En termes d’organisations, les chefs de gouvernement se rĂ©unissent tous les deux ans, et un peu comme les jeux olympiques ou les coupes du monde, des jeux sont organisĂ©s tous les quatre ans. Contrairement Ă  une alliance ou Ă  l’appartenance Ă  un traitĂ©, aucun des membres n’a d’obligations envers les autres, mais ils adhĂšrent tous Ă  la charte du Commonwealth. Celle-ci Ă©nonce des valeurs fondatrices de la communautĂ©, telles que la dĂ©mocratie, les droits humains, la non-discrimination, la libertĂ© d’expression ou encore la sĂ©paration des pouvoirs. Elle reconnait Ă©galement la spĂ©cificitĂ© des petits États et des États vulnĂ©rables, qu’il convient d’aider dans leur dĂ©veloppement et de soutenir en cas d’agression. Il s’agit essentiellement d’États insulaires et pauvres dont les dĂ©fis principaux sont une Ă©conomie particuliĂšre et dĂ©faillante, des problĂšmes Ă©nergĂ©tiques et une vulnĂ©rabilitĂ© certaine face au changement climatique. Une question peut alors se poser : tous les États membres de cette organisation se doivent de respecter la charte qu’ils ont signĂ©e. Mais que se passe-t-il si un de ces pays venait Ă  ne pas en respecter un ou plusieurs aspects ? Dans un premier temps, le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du Commonwealth va inciter le pays en question Ă  retourner sur le droit chemin, en l’exhortant Ă  en faire plus. Ce fut par exemple le cas fin 2017 lorsque le Cameroun, Ă©pinglĂ© par plusieurs ONG comme Ă©tant le mauvais Ă©lĂšve en termes de gouvernance et de respect des droits de l’homme, a reçu la visite de la secrĂ©taire du Commonwealth, Patricia Scotland. Pour elle, il faut continuer Ă  « mettre l’accent sur l’État de droit en construisant et en renforçant les institutions de gouvernance et en promouvant les meilleures pratiques », nĂ©cessaires pour un dĂ©veloppement prospĂšre du pays Ă  terme. En cas de non-respect prolongĂ© de la charte, le pays peut Ă©galement ĂȘtre suspendu, comme l’a Ă©tĂ© le Zimbabwe en 2002 – il a quittĂ© l’organisation en 2003, et le Royaume-Uni soutient sa rĂ©intĂ©gration aprĂšs le dĂ©part de Mugabe du pouvoir.

À la tĂȘte du Commonwealth of Nations se trouve le souverain britannique, en l’occurrence Elizabeth II, qui se trouve Ă©galement ĂȘtre le chef de 17 monarchies parlementaires, dont les plus connues sont le Royaume-Uni, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-ZĂ©lande. Dans les faits, cela ne lui confĂšre aucun pouvoir effectif, du fait de la nature mĂȘme de l’organisation, qui rĂ©unit des États libres et Ă©gaux. Le chef de 17 des États membres ne peut donc avoir de pouvoir sur l’organisation, sinon vous comprenez bien qu’aucun des membres du Commonwealth ne serait l’égal des autres. En effet, contrairement Ă  certaines idĂ©es reçues, si le Royaume-Uni est bien Ă  l’origine de cette organisation en aucun cas il en est le chef.

Pourquoi et comment y adhérer ?

Si autant de pays adhĂšrent au Commonwealth, on peut se demander quels avantages ils peuvent en tirer ? AprĂšs tout il n’y aurait intĂ©rĂȘt Ă  l’intĂ©grer si ce n’est que pour se retrouver avec des engagements du simple fait d’avoir signĂ© la charte. Il faut des contreparties qui en vaillent le coup. Et celles-ci se jouent surtout sur le plan international. Chaque pays membre ne s’envoie pas des ambassadeurs, mais des hauts-commissaires, qui reprĂ©sentent leur gouvernement et non le chef de l’État. Cela s’explique par le fait que les citoyens des 53 pays ne se considĂšrent pas comme des Ă©trangers les uns par rapport aux autres. Si un des citoyens du Commonwealth se trouve dans un pays qui n’est pas de l’organisation, et oĂč il n’y a pas de reprĂ©sentation diplomatique, il peut s’adresser au besoin Ă  l’assistance consulaire britannique, s’il y en a une Ă©videmment. Ajoutons Ă  cela que les citoyens nĂ©o-zĂ©landais, australiens et canadiens bĂ©nĂ©ficient d’un working holiday visa qui permet aux personnes de 18 Ă  30 ans de travailler au Royaume-Uni. Le fonctionnement est le mĂȘme, Ă  peu de choses prĂšs, que le visa de travail entre la France et le Canada. Ce visa n’est cependant pas accessible pour les autres États membres car il nĂ©cessite une rĂ©ciprocitĂ©, mais cela est parfaitement envisageable Ă  terme.

Si toi, ami lecteur, te demande pourquoi nous n’avons pas intĂ©grĂ© cette organisation dont la chartre reprend peu ou prou les valeurs de la RĂ©publique française et qui facilite certains aspects des relations internationales, voici les conditions d’adhĂ©sion, qui te feront comprendre pourquoi nous n’y sommes pas. Tout d’abord, il faut accepter la charte et ĂȘtre un État souverain, deux aspects assez formels et non-contraignants pour la France. Il faut aussi respecter les vƓux de la population, en ce qui concerne l’adhĂ©sion, mais aussi de façon gĂ©nĂ©rale dans les Ă©lections, ce qui en thĂ©orie est le cas ici. C’est aprĂšs que les choses se compliquent. Il faut reconnaĂźtre le souverain britannique comme chef du Commonwealth, et mĂȘme si son rĂŽle n’est que symbolique comme nous l’avons vu, je doute que cela soit forcĂ©ment acceptĂ© par les Français. Pays de la RĂ©volution contre l’Ancien RĂ©gime, la France n'acceptera pas d'avoir un monarque comme chef d'une organisation, Ă©tranger qui plus est. Ce serait un crime de lĂšse-majestĂ© envers la RĂ©publique. Et le point suivant pour l’adhĂ©sion ferait bondir les acadĂ©miciens de leur siĂšge, puisqu’il faudrait accepter l’anglais comme langue du Commonwealth. MoliĂšre qui rendrait les armes face Ă  Shakespeare. Enfin, pour postuler, il faut avoir un lien historique avec un État dĂ©jĂ  membre, qui s’explique par la crĂ©ation mĂȘme du Commonwealth. À voir si le fait qu’Albion soit notre plus ancien ennemie, ou si la conquĂȘte de l’Angleterre par Guillaume le Normand en 1066, constituent des liens historiques valables. Plaisanterie mise Ă  part, vous comprenez bien qu’il serait compliquĂ©, si ce n’est impossible, pour la France d’intĂ©grer le Commonwealth, et cela mĂȘme avec l'existance de l'Entante cordiale. En revanche certains pays peuvent demander l’adhĂ©sion car ils ont Ă©tĂ© des protectorats ou des colonies anglaises, comme l’Égypte, l’Irak, l’Irlande, la Jordanie, IsraĂ«l, le YĂ©men, et mĂȘme les Etats-Unis. Comme toute organisation, il est possible de quitter le Commonwealth, comme l’ont fait l’Irlande et Terre-Neuve en 1949, et plus rĂ©cemment les Maldives en 2016, et cela se fait de maniĂšre plus aisĂ©e que pour un Brexit.

 

Aux origines du Commonwealth

Comment en est-on arrivé là ? Quels enjeux politiques ont poussé à la création de cette institution ?

Avant de parler de l’acte de crĂ©ation en lui-mĂȘme, il nous faut remonter Ă  la fin du XIXe siĂšcle, quand le Royaume-Uni dirigeait un immense empire, recouvrant presque le quart du globe et regroupant un peu plus du quart de la population mondiale. Ça ne vous rappelle rien ? Nous sommes presque sur les mĂȘmes chiffres que le Commonwealth, et ce n’est pas une coincidence. Cet Empire sur lequel le soleil ne se couche jamais fonctionnait selon un systĂšme dĂ©centralisĂ© de colonies, protectorats et autres territoires, qui Ă©taient placĂ©s sous la souverainetĂ© de la Couronne et de l’administration britannique.

C’est durant cette pĂ©riode que le terme de Commonwealth apparait pour la premiĂšre fois. Le Royaume-Uni fit le choix d’accorder progressivement Ă  certaines colonies une plus grande autonomie dans leur propre gestion, ce qui mena au dĂ©veloppement du concept de bien commun des nations, le Commonwealth of Nations. C’est ainsi que les colonies du Canada, Ă  savoir la Nouvelle-Ecosse et la province de Canada, devinrent en 1867 une fĂ©dĂ©ration et furent les premiĂšres Ă  se voir accorder le statut de Dominion. Les autres territoires canadiens rejoignirent la fĂ©dĂ©ration entre 1870 et 1873. En 1901 ce sont les colonies australiennes qui deviennent une fĂ©dĂ©ration Ă  leur tour, et se voient Ă©galement accorder le statut de Dominion, puis en 1907 c’est la Nouvelle-ZĂ©lande qui y accĂšde. L’Union Sud-Africaine est formĂ©e en 1910 Ă  partir de quatre colonies qui ont leur propre gouvernement et obtiennent, eux aussi, le statut de Dominion. Alors un Dominion, c’est quoi exactement ? Nous venons de voir qu’au dĂ©but du XXe siĂšcle, les colonies de peuplement blanc se sont toutes vues accorder ce statut. ConcrĂštement, il ne s’agit pas d’indĂ©pendance, puisqu’elles restent sous la juridiction de la Couronne britannique. Mais il est difficile de dire ce qu’est exactement un Dominion, puisqu’il n’y a pas de cadre constitutionnel codifiĂ© qui le dĂ©finisse, ce qui en fait un concept plutĂŽt flexible qui dĂ©pend des situations. Du fait de ses relations avec la Couronne, un Dominion n’est ni un royaume Ă  part, ni une rĂ©publique indĂ©pendante, ce qui est par dĂ©finition impossible. Le Premier Ministre britannique David Lloyd George a dĂ©clarĂ© en 1921, lors d’un discours sur l’accession de l’Irlande au statut de Dominion, que :

« En pratique cela signifie un contrĂŽle total sur leurs propres affaires internes sans aucune interfĂ©rence d’autres parties de l’Empire ».

Ils contrĂŽlent donc complĂštement toutes les questions relatives Ă  leur politique intĂ©rieure et peuvent donc faire des lois sans que la Couronne ou le Parlement britannique n’interfĂšrent dans le processus lĂ©gislatif. Ils peuvent ainsi Ă©tablir leurs propres tarifs douaniers, rĂ©guler l’immigration et ont la main sur leurs propres forces de dĂ©fense. D’un autre cĂŽtĂ©, tout ce qui concerne les affaires Ă©trangĂšres, la dĂ©fense et le commerce international restent des prĂ©rogatives du gouvernement britannique. Bien que dĂ©pendant du Royaume-Uni sur les questions de dĂ©fense, ils peuvent tout de mĂȘme dĂ©cider du niveau d’implication de leurs forces armĂ©es.

Cette autonomie sans prĂ©cĂ©dent accordĂ©e Ă  certaines colonies devient une menace pour la cohĂ©sion de l’Empire britannique du fait des aspirations Ă  l’indĂ©pendance de l’Afrique du Sud, de l’Irlande et de l’Inde au tournant du XXe siĂšcle. Une des solutions pour y faire face a Ă©tĂ© de proposer une plus forte intĂ©gration des membres de l’Empire, qui passait par la crĂ©ation d’un Parlement impĂ©rial composĂ© de deux chambres dont les reprĂ©sentants auraient Ă©tĂ© issus des populations blanches des Dominions, ainsi que par une rĂ©forme fĂ©dĂ©rale du Royaume-Uni. Ces idĂ©es ont Ă©tĂ© rejetĂ©es Ă  la fois par les Dominions et par le Parlement, et l’idĂ©e fut abandonnĂ©e en 1911.

 

Vers l'autonomie et l'égalité avec le Royaume-Uni

Le dĂ©but du XXe siĂšcle et notamment la PremiĂšre Guerre Mondiale ont apportĂ© leur lot de changements qui ont eu une incidence directe sur le devenir des Dominions et sur l’évolution de ce qui va devenir le Commonwealth. Quand le 4 septembre 1914 la Grande-Bretagne dĂ©clare la guerre Ă  l’Allemagne, elle ne la fait pas qu’en son nom propre mais en celui de l’ensemble de l’Empire, ce qui implique que les colonies et Dominions doivent aider Ă  l’effort de guerre en fournissant les hommes, les matĂ©riels et les moyens logistiques dont ils disposent, pour un conflit qui ne les concerne guĂšre. C’est ainsi que les troupes australiennes et nĂ©o-zĂ©landaises, connues sous le nom d’ANZAC (Australia and New Zealand Army Corps) se retrouvent engagĂ©es dans la campagne de Gallipoli du 25 avril 1915 au 9 janvier 1916.

En 1917 et 1918 se tiennent les ConfĂ©rences ImpĂ©riales sur la Guerre, durant lesquelles pour la premiĂšre fois le terme de Commonwealth est utilisĂ©. Par la mĂȘme occasion, le statut de Dominion est critiquĂ© par le ministre de la DĂ©fense sud-africain Jan Smut, en ces termes :

« Je pense que, bien qu’en thĂ©orie nous disposons d’une grande libertĂ©, dans les faits le statut de Dominion est celui d’un sujet [Ă  la Couronne]. Quoiqu’on en dise, et quoiqu’on en pense, nous sommes des provinces sujettes de la Grande-Bretagne ».

En juin 1919, chaque Dominion signe sĂ©parĂ©ment le traitĂ© de paix de Versailles, aprĂšs avoir rejoint la Ligue des Nations nouvellement formĂ©e, en tant qu’États indĂ©pendants et Ă©gaux Ă  la Grande-Bretagne. La PremiĂšre Guerre Mondiale est indubitablement un moment capital dans l’évolution du Commonwealth du fait que l’implication et le sacrifice des Dominions dans ce conflit questionne leur statut et leur contribution dans la politique Ă©trangĂšre impĂ©riale. Lors de la partition de l’Irlande en 1922, l’État Libre d’Irlande obtient Ă  son tour le statut de Dominion, restant de ce fait un Ă©lĂ©ment Ă  part entiĂšre de l’Empire, jusqu’à ce qu’il devienne la RĂ©publique d’Irlande en 1949.

L’existence d’une politique Ă©trangĂšre des Dominions distincte de celle de l’Empire est reconnue en 1926, reconnaissance d’un statut de fait puisque comme nous l’avons vu, dĂšs 1919 les Dominions signent un traitĂ© international sĂ©parĂ©ment du Royaume-Uni.

La confĂ©rence impĂ©riale de 1926 adopte le rapport Balfour, dont l’objectif principal est de maintenir les relations entre le Royaume-Uni et ses colonies en accordant aux Dominions autant d’autonomie possible tout en maintenant l’unitĂ© de l’Empire. Ce rapport permet de rĂ©soudre le problĂšme de cohĂ©sion auquel l’Empire faisait face, et que nous avions Ă©voquĂ© auparavant. ConcrĂštement, et dans les grandes lignes, il reconnait que le Royaume-Uni et les Dominions ont une Ă©gale autonomie en ce qui concerne les affaires Ă©trangĂšres, que toute lĂ©gislation proposĂ©e par le parlement britannique sur un Dominion ne pourra ĂȘtre promulguĂ©e qu’avec l’accord dudit Dominion et enfin, que :

« [les Dominions] sont des communautĂ©s autonomes au sein de l’Empire Britannique, Ă©gaux en statut, en aucun cas subordonnĂ© Ă  l’un des autres États que ce soit dans leurs affaires internes ou Ă©trangĂšres, mais ils sont liĂ©s par une allĂ©geance commune Ă  la Couronne, et librement associĂ©s en tant que membres du Commonwealth des Nations Britannique ».

Les Jeux du Commonwealth voient le jour en 1930 Ă  Hamilton, au Canada, sous le nom de British Empire Games. L’annĂ©e suivante, le statut de Westminster vient donner force de loi au rapport Balfour de 1926, en reconnaissant officiellement le droit souverain de chaque Dominion de contrĂŽler leurs affaires internes et Ă©trangĂšres, d’avoir une reprĂ©sentation sĂ©parĂ©e du Royaume-Uni dans toutes les organisations internationales – dont la Ligue des Nations – ainsi que de disposer de leurs propres ambassadeurs, et de pouvoir signer les traitĂ©s en leur nom. Ce statut de Westminster marque la naissance du Commonwealth des Nations Britannique dans sa premiĂšre mouture, puisqu’elle ne concerne pour l’instant que les Dominions, comme vous l’avez sĂ»rement remarquĂ©. Tout comme le rapport Balfour, ce statut est la consĂ©quence de l’émergence et de la montĂ©e d’une forme de nationalisme dans les colonies, avant et pendant la PremiĂšre Guerre Mondiale, marquĂ©e par la dissolution de l’union entre l’Irlande et la Grande-Bretagne, et la potentielle mais non-advenue scission de l’Afrique du Sud vis-Ă -vis de l’Empire. Comme souvent, le politique est venue lĂ©gifĂ©rer sur des circonstances dĂ©jĂ  Ă©tablies, puisque tout ce que ce statut de Westminster officialise Ă©taient dĂ©jĂ  des acquis de fait. Mais il Ă©tait nĂ©cessaire que cela soit Ă©crit dans la loi car il permet aux Dominions de pouvoir profiter pleinement de leur nouveau statut et de ne plus ĂȘtre sous la menace d’un revirement. Cette nouvelle loi les protĂšge en officialisant leurs droits acquis depuis dĂ©jĂ  un certain temps.

Rapidement, le statut de Westminster est adoptĂ© par l’Union de l’Afrique du Sud, mais il n’est jamais formellement ratifiĂ© par l’État Libre d’Irlande. Il ne sera adoptĂ© qu’en 1942 par l’Australie, qui antidate sa signature au dĂ©but de la Seconde Guerre Mondiale en septembre 1939, et en 1947 en Nouvelle-ZĂ©lande. Durant cette pĂ©riode, entre 1926 et 1931, les deux dates clĂ©s dont nous venons de parler, les relations indo-britanniques ont empirĂ©. Ces relations tendues ont eu pour rĂ©sultat que l’Inde n’a pas Ă©tĂ© inclue dans le statut de Westminster et qu’elle ne s’est pas vu accorder le statut de Dominion.

 

Un Empire sur le déclin

Alors que l’intĂ©gritĂ© de l’Empire semble s’effriter sur le plan politique au vu de l’émancipation de certaines colonies que permet le statut de Westminster, le Royaume-Uni entre dans un nouveau conflit. Le 3 septembre 1939, Albion dĂ©clare la guerre Ă  l’Allemagne. La plupart estiment que cela n’engage pas les Dominions – Ă  ce titre l’Irlande fait le choix de rester neutre dans le conflit – Ă  l’exception du gouvernement australien qui est en quelque sorte liĂ© par cette dĂ©claration de guerre britannique. Et cela parce qu’ils n’ont pas encore signĂ© le fameux statut de 1931 et ne peuvent donc pas contrĂŽler pleinement leurs affaires Ă©trangĂšres. Ils sont encore, d’une certaine façon, les sujets de la Couronne. Si l’Australie est obligĂ©e lĂ©galement de suivre la Couronne britannique dans cette guerre Ă  l’autre bout du monde (pour l’instant), certains Dominions, comme le Canada et l’Afrique du Sud, Ă©mettent leur propre dĂ©claration de guerre, respectivement les 10 et 6 septembre. À ce titre, la Seconde Guerre Mondiale doit ĂȘtre vue comme un Ă©vĂšnement qui a encore un peu plus desserrĂ© les liens politiques qui unissaient le Royaume-Uni et les Dominions. Loin de disparaitre, ils se sont nettement attĂ©nuĂ©s quand on regarde leur Ă©volution depuis la crĂ©ation du statut de Dominion. Une des preuves de cette Ă©mancipation est la tenue des ConfĂ©rences ImpĂ©riales. DĂšs 1944 leur nom change pour quelque chose que je qualifierai de moins colonialiste, puisqu’elles prennent le nom de ConfĂ©rences des Premiers Ministres du Commonwealth jusqu’en 1969, et en 1971 elles deviennent l’AssemblĂ©e des Chefs de Gouvernement du Commonwealth. Comme vous l’aurez devinĂ©, elles se dĂ©roulent tous les deux ans, et chose importante, chaque État de l’organisation doit accueillir ces assemblĂ©es Ă  tour de rĂŽle. Preuve s’il en est de l’émancipation des Dominions et des colonies vis-Ă -vis du gouvernement britannique.

Qui donne naissance au Commonwealth des Nations moderne

L’annĂ©e 1947 apporte Ă©galement son lot de changements, avec l’indĂ©pendance de l’Inde et sa partition en deux États, l’Inde donc et le Pakistan. Chacun devient un Dominion et rejoignent le Commonwealth. Lorsqu’en janvier 1950 l’Inde devint une rĂ©publique, elle pu tout de mĂȘme rester au sein du Commonwealth, ainsi que le Pakistan lorsqu’il devint une RĂ©publique Islamique en 1956. Le cas indien marque une premiĂšre Ă©tape dans l’établissement du Commonwealth moderne. Jusque lĂ  les membres du Commonwealth Ă©taient des Dominions dont le systĂšme politique est la monarchie constitutionnelle, c’est-Ă -dire qu’ils avaient tous le monarque anglais comme reprĂ©sentant de l’État. Or en devenant une RĂ©publique, l’Inde quitte ce systĂšme politique et ne peut donc, en thĂ©orie, plus ĂȘtre membre du Commonwealth car concrĂštement le monarque anglais ne reprĂ©sente plus rien pour eux. MalgrĂ© tout, la nouvelle rĂ©publique souhaite rester membre de l’organisation. Les dirigeants politiques de chaque État du Commonwealth trouvent alors un accord permettant Ă  l’Inde de rester membre. Cet accord c’est la dĂ©claration de Londres du 26 avril 1949, qui stipule que l’appartenance Ă  l’organisation ne peut plus ĂȘtre basĂ©e sur une allĂ©geance Ă  la Couronne britannique. L’Inde a ainsi ouvert la porte au Pakistan qui se serait retrouvĂ© face Ă  la mĂȘme problĂ©matique quelques annĂ©es plus tard, et Ă  toutes les RĂ©publiques qui composent actuellement le Commonwealth, lesquelles reprĂ©sentent plus de la moitiĂ© de l’organisation. La dĂ©claration de Londres a Ă©galement permis aux États africains et asiatiques de l’Empire de pouvoir rester dans le Commonwealth tout en formulant clairement le vƓu de devenir des RĂ©publiques au moment de leur indĂ©pendance, ce qui aurait Ă©tĂ© impossible auparavant.

NĂ©anmoins, le monarque britannique n’en est pas moins reconnu comme Ă©tant le chef du Commonwealth, symbole de l’association libre d’États indĂ©pendants. Il reste le personnage le plus important dans chaque royaume du Commonwealth et garde certaines prĂ©rogatives, comme le commandement des forces militaires ou la crĂ©ation de lois. Dans cette mĂȘme dĂ©claration, les dirigeants reconnaissent et s’accordent sur le fait que les membres du Commonwealth des Nations sont :

« Libres et Ă©gaux, coopĂ©rant librement dans le mĂȘme but de paix, de libertĂ© et de progrĂšs ».

La déclaration de Londres met fin au terme de British Commonwealth of Nations, qui est remplacé par celui de Commonwealth of Nations, lequel a pour avantage de ne pas impliquer une notion de subordination au gouvernement britannique.

AprĂšs le sacre d’Elizabeth II le 2 juin 1953, les Dominions changent de nom pour devenir des royaumes du Commonwealth. Aujourd’hui, un royaume du Commonwealth est un des 16 États souverains, dont le Royaume-Uni, qui sont membres du Commonwealth des Nations et qui reconnaissent la reine Elizabeth II comme Ă©tant le monarque lĂ©gitime.

Le dernier changement notable qui survint dans l’histoire du Commonwealth fut en 1961 lorsque l’Afrique du Sud devint une rĂ©publique et fut exclue de l’organisation par les autres membres du fait de sa politique d’apartheid. Elle put le rĂ©intĂ©grer en 1991 lorsque la politique d’apartheid prit fin. 

Le Commonwealth des Nations, ou en bon français, le Bien Commun des Nations, est donc une organisation internationale rĂ©unissant diffĂ©rents types de gouvernement et ayant pour chef le monarque britannique. Issu de l’Empire Britannique, il a pour but la poursuite du bonheur, de la libertĂ© et du progrĂšs, par le biais de la coopĂ©ration inter-Ă©tatique entre chacun des membres. Pour cela, ils adhĂšrent tous Ă  une charte oĂč les droits de l’homme sont au cƓur du projet, et bien que celle-ci ne soit pas contraignante en soit, son non-respect peut entrainer des sanctions et/ou une suspension. Il est important de prĂ©ciser, comme nous l’avons soulignĂ© Ă  de nombreuses reprises, que bien qu’issu de l’Empire Britannique, chacun des membres du Commonwealth est l’égal des autres et qu’aucun n’est subordonnĂ© au gouvernement britannique ou mĂȘme Ă  la Couronne. Mais outre les nobles objectifs affichĂ©s par la charte, l’organisation permet Ă©galement Ă  ses membres d’avoir des avantages sur le moment, lesquels doivent permettre tant Ă  l’État qu’à ses citoyens de se dĂ©velopper. Ainsi chaque membre est un interlocuteur privilĂ©giĂ© pour les autres, facilitant le travail diplomatique et les Ă©changes Ă©conomiques, ce qui explique que les anciennes colonies aient autant exprimĂ© leur volontĂ© de rester dans le Commonwealth au moment d’accĂ©der Ă  l’indĂ©pendance.

Le Commonwealth s’est ainsi construit sur plus d’un siĂšcle passant d’un systĂšme colonial et trĂšs hiĂ©rarchisĂ© Ă  un systĂšme plus Ă©galitaire. À l’heure du Brexit, il est une Ă©chappatoire vers lequel Albion peut se retourner et tenter d’y resserrer ses liens. C’est tout du moins ce que proposait Boris Jonhson au moment des derniĂšres Ă©lections de dĂ©cembre, mais les disparitĂ©s Ă©conomiques de ses membres rendent le projet bancal. Il s'adresse au fier passĂ© de la nation britannique, et le rĂȘve et l'illusion sont parfois des ressorts puissants de l'Ăąme humaine. Ressusciter le Commonwealth comme instrument de puissance britannique, c'est donc rassurer des Ă©lecteurs inquiets de voir une Grande-Bretagne isolĂ©e et repliĂ©e sur elle-mĂȘme lorsqu'elle aura larguĂ© les amarres avec le reste de l'Europe.