Le métier de roi

Le monde est en admiration devant les ors de la Couronne depuis des décennies. Tiares, carrosses, uniformes, robes brodées de diamants sont le quotidien des grandes cérémonies britanniques. Mais au-delà de ce faste monumental, il est une question que de nombreux individus se posent : quels sont les véritables pouvoirs du monarque ?

Voir un pays être dirigé par une monarchie peut être étrange voir incompréhensible pour certains. Le Royaume-Uni est en fait un ensemble d’institutions qui forment l’Etat et se partagent les pouvoirs. Le souverain est l’une d’entre elles. Elizabeth II est la reine la plus célèbre de la planète, mais qui peut énumérer convenablement la liste de ses véritables pouvoirs ? L’heure est venue de vous éclairer.

 

Une monarchie parlementaire

Le Royaume-Uni est dirigé par une monarchie parlementaire qui répond aux exigences d’une constitution non écrite. Cette constitution est en fait un ensemble de documents signés au cours du temps et qui forment les lois fondamentales du royaume. Parmi eux, on compte la Magna Carta (ratifiée en 1215) et la pétition des droits de 1628. Cette monarchie naît réellement suite à la Glorieuse Révolution de 1688-1689. A cette date, le roi Jacques II Stuart est chassé du trône par sa fille et son gendre qui finissent par régner conjointement sur l’Angleterre sous les noms de Marie II et de Guillaume III. Mais cette accession inédite dans l’histoire anglaise a un prix. Pour ceindre la couronne, ils doivent partager leurs pouvoirs avec le parlement. Ce régime est donc divisé entre un monarque et un parlement segmenté en deux chambres. Naît ainsi la théorie du « roi en son parlement » où trois entités dirigent un royaume.

Le pouvoir législatif appartient à la Chambre des Communes et à la Chambre des Lords. Quant à l’exécutif, il est exercé par le Premier Ministre et son Cabinet. Le monarque britannique est donc avant tout un chef d’Etat qui a un rôle essentiellement représentatif. Par sa figure, le royaume est représenté sur tout le territoire et bien au-delà. Son profil est inscrit sur les billets, les pièces de monnaie et les timbres. Son monogramme est présent sur les boîtes aux lettres et les téléphones publics. L’hymne national (le God save the king/queen) a été écrit à sa gloire, tandis que le jour de son anniversaire officiel (le deuxième samedi de juin) une parade militaire appelée Trooping the colour fait office de fête nationale. En somme, le roi est présent quotidiennement dans la vie de ses sujets. Mais sa position ne se limite pas à un rôle représentatif.

 

Le monarque et son Premier Ministre

D’abord, il nomme officiellement le Premier Ministre. Il a pour devoir de choisir le chef du parti politique ou de la coalition qui dispose de la confiance de la Chambre des Communes, c’est-à-dire celui qui obtient la majorité des sièges. Mais lorsqu’aucun parti ne se distingue, il peut choisir le ministre qui représente le parti le plus important à ce moment précis. Ainsi, en 1974, le Premier Ministre Edward Heath démissionne. Au sortir des élections générales, aucun parti ne sort majoritaire. Sous les conseils de Heath, Elizabeth II décide de demander au chef de l’opposition, le travailliste Harold Wilson, de former un nouveau gouvernement. Théoriquement, le souverain peut démettre son Premier Ministre de ses fonctions, mais dans la pratique, son mandat s’achève lors d’une défaite électorale, d’une démission ou de sa mort.

Avec son Premier Ministre, il entretient une relation particulière. Il le rencontre au moins une fois par semaine afin de s’entretenir sur les différentes actualités politiques, économiques et sociales du moment. Selon l’urgence des sujets, plusieurs entrevues peuvent être organisées au cours d’une semaine. Dans une pièce close, les conversions ne sont ni enregistrées ni prises en note. Elles doivent être parfaitement privées. Durant ces moments, le souverain peut offrir ses conseils, ses réprimandes, ses mécontentements et ses félicitations au chef du gouvernement quant à la politique exercée. C’est donc dans les coulisses de la monarchie que s’exerce le pouvoir politique du monarque. Mais il a le devoir d’accepter la politique du gouvernement si celui-ci a la confiance de la Chambre des Communes. Le Premier Ministre doit également communiquer tous les documents d'importance à son souverain afin de lui rendre compte des actualités par l'intermédiaire de boîtes rouges ornées de son monogramme. Seuls le monarque et son Premier Ministre détiennent les clés qui permettent son ouverture.

Si le Premier Ministre représente l’exécutif, il n’a pour autant pas tous les pouvoirs. C’est au monarque que revient la charge de déclarer une guerre lorsque l’occasion se présente. Il est d’ailleurs considéré comme le commandant en chef des armées.

 

Le souverain et son parlement

C’est au monarque que revient également la charge d’ouvrir les sessions parlementaires. Si une certaine tradition d’ouvrir une nouvelle session au mois de mai de chaque année s’est instituée au cours du temps, il revient en fait au monarque de décider du moment de son exécution. Il a le pouvoir de dissoudre à sa guise le parlement. Au cours d’une cérémonie fastueuse en la Chambre des Lords, le souverain couronné prononce un discours écrit par son Premier Ministre devant les pairs du royaume et les députés des Communes. Il s’agit du seul moment de l’année où les deux Chambres sont réunies en un même lieu.

Au-dessus des partis, le monarque ne donne pas son avis politique en public. Il est le garant de l’unité du royaume. Chaque sujet doit pouvoir se reconnaître en sa personne. Pour éviter toute division, il est donc indispensable de voir un souverain neutre politiquement. Mais il peut s’offrir quelques exceptions selon la gravité de la situation. Ainsi, au cours de la Seconde guerre mondiale, George VI n’a pas hésité à apparaître de nombreuses fois publiquement au côté de Winston Churchill pour afficher son soutien à sa politique pour arriver à la victoire.

Néanmoins, quelle que soit l’orientation politique du gouvernement, le Premier Ministre et son Cabinet agissent en son nom, tout comme la justice. Mais il peut s’opposer aux lois votées. En apposant sa signature au bas de chaque document législatif, le roi ou la reine a un droit de veto. Il peut théoriquement s’opposer à toutes les lois qu’il juge inadéquates. Pour se faire, il inscrit l’une de ces deux mentions écrites en vieux français : s’il est d’accord « le Roy (ou la Reyne) le veult » ou au contraire « le Roy (ou la Reyne) s’avisera ». Mais depuis la reine Anne, aucun souverain ne s’est opposé à la ratification d’une loi votée par le parlement.

Chaque ministre est nommé et révoqué selon son souhait. Parmi eux, il choisit ceux qu’il pense aptes à le conseiller dans l’exercice de sa fonction et le bon fonctionnement de la monarchie lors du Conseil privé. Chaque conseiller est nommé à vie. Il réglemente la fonction publique et émet les passeports. Il négocie et signe également les traités, les alliances et les accords internationaux. Elle nomme également les lords non héréditaires qui siégeront à vie à la chambre, souvent comme récompense, notamment aux anciens Premiers Ministres. Pourtant, la Chambre des Lords a seulement un rôle de révision des textes avant leur application.

Cependant, le parlement lui alloue une rente votée auparavant pour exercer sa fonction. Cette question financière rend dépendant le souverain aux volontés des parlementaires qui peuvent augmenter, tout comme diminuer, la somme qui lui est allouée chaque année. Ainsi, avec la crise économique, Elizabeth II a vu sa rente considérablement diminuer au cours du temps.

 

La représentation, au cœur des prérogatives royales

Le souverain détient une sorte d’immunité qui conduit à l’incapacité de le traduire en justice. Il est également la seule personne du royaume à pouvoir conduire sans permis de conduire et à voyager sans passeport. Pourtant c’est lui qui représente officiellement le pays à travers le monde. Par ses nombreux voyages, il construit une diplomatie solide grâce à ses liens avec les chefs d’Etat étrangers. Lorsque l’un d’entre eux se rend au Royaume-Uni, c’est lui qu’il doit d’abord saluer avant de débuter son séjour. Lui seul suffit pour représenter le Royaume-Uni. Il reçoit également les lettres de créances et les serments d’allégeance des ambassadeurs qui lui sont faits à lui et à « ses légitimes successeurs ». La diplomatie est omni présente dans la fonction royale.

Entre les frontières de son royaume, son nom apparaît de nouveau dans les distinctions qui peuvent être distribuées. Le monarque offre les honneurs et dignités aux sujets méritants en personne. Il est également à l’origine de la création des pairies du royaume. S’il anoblit des individus qui sont choisis selon une liste rédigée par le gouvernement, il détermine personnellement l’accès à certains ordres de chevalerie. Selon son bon plaisir, de nouveaux chevaliers peuvent être faits au sein de l’Ordre de la Jarretière, du Chardon, du Bain, du Mérite et de l’Ordre royal de Victoria. En somme, son rôle est aussi honorifique.

 

Le monarque et l’Eglise

L’Eglise a une place prépondérante dans le métier de roi. En tant que reine, la titulature intégrale d’Elizabeth II est : « Elizabeth II, par la grâce de Dieu, reine du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord et de ses autres royaumes et territoires, chef du Commonwealth, défenseur de la foi ». Son devoir est donc aussi de défendre la foi anglicane.

Et cette fonction est légitime. Depuis le schisme d’avec Rome au XVIe siècle, le roi d’Angleterre est aussi gouverneur suprême de son Eglise. S’il n’a aucun rôle dans l’Eglise d’Irlande ou du Pays de Galles, il est le chef de l’Eglise anglicane. Il doit donc faire respecter les dogmes institués par les évêques et les archevêques qu’il a la charge de nommer. En Ecosse cependant, il est considéré comme un membre ordinaire, n’ayant aucun droit supérieur aux ecclésiastiques.

Mais en Angleterre, son statut est tout autre. Oint du Saint Chrême, il est considéré comme le représentant de Dieu sur Terre. Il est l’interface entre les Hommes et le Divin. Par son sacre, il devient un personnage intouchable. Une cérémonie spectaculaire qui donne un caractère spirituel à sa fonction. Au-dessus des ecclésiastiques, il ne connaît aucun supérieur hiérarchique, si ce n’est Dieu. Les archevêques de Canterbury et d’York sont les deux plus hauts personnages de l’Eglise après le souverain.

 

Etre roi du Royaume-Uni implique un nombre important de droits et de devoirs qui fait de cette fonction un statut unique au monde. Personnage sacré, il est intouchable. Neutre en politique, il est le garant de l’unité du royaume. Représentant international de son pays, il place la diplomatie comme son cheval de bataille. Il met sa personne toute entière et les ors du régime qu’il représente au service du présent et de l’avenir du Royaume-Uni. En bref, le métier de roi se résume en une phrase : représenter pour mieux régner.