Quand le roi d'Angleterre se disait de France

Pendant de longues années, les rois d’Angleterre se sont aussi dis de France. Cette phrase a de quoi étonner, et pourtant. Une question dynastique complexe a permis cette exception historique. Je vous invite à vous plonger au cœur de la guerre de Cent Ans, là où la France et l’Angleterre se sont affrontés en de nombreux points.

Les relations entre la France et l'Angleterre n'ont pas toujours été au beau fixe, loin s'en faut. Le royaume d'outre-Manche a longtemps été l'ennemi héréditaire de la France, avant que les deux nations ne se rapprochent avec la reine Victoria et l'empereur Napoléon III, et que la France ne se trouve un autre ennemi, l'Allemagne. Un des éléments témoins de ce rapprochement est d'ailleurs toujours visible aujourd'hui, puisque les élèves officiers de l’École Spéciale Militaire de Saint-Cyr portent encore le casoar sur leur shako, imposé par l’empereur lors de la visite parisienne de la reine.

Une des preuves des tensions qui existaient entre les deux royaumes est le doux surnom que nous donnions à nos voisins, un parmi tant d'autres : la perfide Albion. Alors pourquoi tant d'animosité ? Comme souvent, cela est dû aux guerres qui ont émaillé notre histoire conjointe, et tout, ou presque, part d'une question de succession au trône de France. Deux questions en découlent, qui et quand ?

Pour répondre à cette double question, il nous faut remonter dans le temps, plus précisément en 1337 au déclenchement de la guerre de Cent Ans. Édward III, alors roi d'Angleterre depuis 1327, prend prétexte de sa légitimité royale pour déclarer la guerre à la France. Nous ne parlerons pas ici des causes qui ont mené à cette guerre, mais retenons juste que la question de la légitimité royale d’Édward III est le casus belli prit pour déclarer la guerre. Afin de comprendre pourquoi le roi d'Angleterre pouvait prétendre au trône de France, il nous faut faire un peu de généalogie. Et c'est là que les choses se corsent.

Commençons donc par Philippe IV le Bel, roi de France de 1285 à 1314, célèbre notamment pour avoir mis fin à l'Ordre des Templiers dans son royaume. À sa mort, c'est son fils aîné Louis qui monte sur le trône sous le nom de Louis X. Mais celui-ci meurt en 1316 après deux années de règne, sans héritier mâle, ayant eu pour seul enfant une fille, Jeanne. Et c'est là que les difficultés commencent, puisque Marguerite, épouse de Louis X et donc mère de Jeanne, était infidèle au roi, rendant possible le fait que Jeanne soit une bâtarde. L'infidélité de Marguerite lui vaudra d'ailleurs la prison, où elle mourra en 1315. La légitimité de Jeanne pourrait donc être remise en cause, et par ricochet, celle de ses futurs enfants. Heureusement pour la couronne, Louis X avait épousé en secondes noces Clémence, laquelle est enceinte. Dans l'attente de la naissance de l'héritier, la régence est confiée à Philippe, le frère cadet de Louis X. Quand Clémence accouche d'un petit garçon, la succession du trône de France semble assurée. Mais ce fils, qui prend le nom de Jean Ier, meurt seulement quatre jours après sa naissance, et la question de savoir qui va porter la couronne est déjà de retour.

 Jeanne, la fille de Louis X, est évincée de la succession du fait de sa possible bâtardise. Le régent Philippe est alors choisi comme roi, considéré comme étant le plus apte à gouverner, et étant le frère de Louis X. Il prend le nom de Philippe V. Cela peut paraître étrange que le roi soit élu, puisque le monarque français est normalement choisi sur l'hérédité et le sacre, mais en cas de problème comme c'est alors le cas, l'élection peut reprendre ses droits. C'est donc Philippe V qui devient roi en 1316, jusqu'à sa mort en 1322. Mais son règne n'a pas vraiment réglé la question de la succession, puisque comme son frère Louis X, il meurt sans descendant mâle. Et le problème se posera à nouveau deux années plus tard, en 1328, quand son frère Charles IV, qui lui a succédé, meurt, également sans héritier. Mais cette fois, il n'y a plus de solution directe, puisque le seul fils de Louis X est mort, ainsi que tous ses frères (Philippe V et Charles IV) sans descendance vivante.

Il y a à ce moment deux choix qui s'offrent à la succession de la couronne de France. Jeanne II de Navarre, fille de Louis X, est mariée à Philippe d’Évreux, qui est le fils de Louis d’Évreux, le cadet de Philippe IV le Bel. Mais elle n'a pas encore de fils, et surtout elle a été évincée de la succession en 1316 du fait de sa possible bâtardise. L'autre choix se porte sur Isabelle de France, épouse d’Édward II, roi d'Angleterre, et mère d’Édward III, personnage central de la question qui nous intéresse. Or Isabelle est la fille de Philippe IV, ce qui fait d’Édward III le petit-fils de Philippe le Bel, et donc potentiel prétendant à la couronne française. Cependant, la décision avait été prise en 1316 d'évincer les femmes de la succession, décision tirée du code de la loi salique, ce qui fait qu'Isabelle ne peut pas transmettre à son fils Édward III une quelconque légitimité à la couronne.

 Le choix se porte finalement sur Philippe VI de Valois, fils de Charles de Valois, lui-même deuxième fils de Philippe III et donc cadet de Philippe IV, mais aîné de Louis d’Évreux, ce qui écarte la possibilité pour le futur fils de Jeanne et de Philippe d’Évreux de pouvoir prétendre à la couronne. Ajoutons que Philippe VI possède un avantage sur Édward III. Il descend par les mâles de la lignée capétienne, alors qu’Édouard en descend mais par sa mère. C'est donc un choix géopolitique fort qui s'exprime à travers le couronnement de Philippe VI, ainsi que l'expression d'une identité nationale, témoin d'une volonté de ne pas laisser le trône de France à un étranger. Ce choix s'est formé sur plusieurs années, avec un élément central, le code de la loi salique qui évince les femmes de la succession, utilisée en 1316 et entrée dans la coutume en 1328. Sans cette loi, Édward III aurait pu porter une double couronne, de France et d'Angleterre. Précisons que la loi salique n'est pas spécifiquement mentionnée au moment du choix du souverain, elle ne le sera que vers 1350, dans le duel juridique et de propagande que se livrent les deux rois.

En Angleterre, la nouvelle ne surprend pas, et seule Isabelle conteste cette décision qui prive son fils de la couronne. Même le parlement anglais déclare qu’Édward n'a pas de droit pour la couronne. Par la suite, les tensions montent entre les deux royaumes, et Édward III déclare donc la guerre au roi de France en arguant de sa légitimité au trône. C'est cette question épineuse qui a conduit les rois d'Angleterre à se dire de France, et à prétendre à la couronne.

 

Expliquer la question de la querelle dynastique franco-anglaise est complexe. Plusieurs aspects doivent être expliqués. Ce dernier n’explique qu’une partie de la prétention anglaise sur le trône de France. Pour vous apporter une réponse complète, d’autres articles viendront par la suite, revenant sur la longue histoire franco-britannique.