George VI face à la Seconde guerre mondiale

Quand la Première guerre mondiale éclate, George V est décidé à jouer son rôle de monarque à la perfection. Il est décidé à incarner ce roi proche de ses sujets, moralisateur de ses soldats. Nous vous l’avons présenté dans notre article passé consacré à George V face à la Première guerre mondiale. Mais quand éclate le second conflit mondial le 3 septembre 1939, quand n’est-il du rôle joué par son fils George VI ? C’est la question qui rythme continuellement ces lignes. Je vous invite à découvrir le destin courageux de George VI face à la Seconde guerre mondiale.

 

George VI, un militaire sur le trône ?

Avant toute chose, il est nécessaire de présenter le monarque afin de mieux comprendre le personnage. Né le 14 décembre 1895 sous le règne de son arrière-grand-mère la reine Victoria, il est le second fils du prince George, qui deviendra George V, et de la duchesse d'York Mary de Teck, la future reine Mary. Hasard du calendrier, le jour de sa naissance coïncide avec le jour anniversaire de la mort de son arrière-grand-père le prince consort Albert, époux de la reine Victoria. Cette dernière avait été « quelque peu bouleversée » par l'annonce de la naissance, selon les dires du prince de Galles, qui a proposé au duc d'York que le nouveau-né porte le prénom d'Albert. C'est pourquoi l'enfant fut baptisé Albert Frederick Arthur George, nom synonyme de « tout ce qui est grand et bon », rendant ce jour un peu moins triste pour la reine Victoria.

Dès sa jeune enfance, Albert est brimé par ses tuteurs qui le forcent à écrire de la main droite alors qu'il est gaucher, tandis que son père se montre sévère et très critique. Aux environs de ses 8 ans, il commence à bégayer et souffre de devoir porter des atèles pour ses genoux cagneux. Souvent malade comme nous le verrons, facilement effrayé, il est parfois sujet à des crises de larmes et des colères soudaines, traits de caractère qui le suivront toute sa vie.

Le jeune Albert entre en 1909 au Royal Navy College d'Osbrone, finissant dans les derniers de sa promotion en 1911, mais il réussit néanmoins à intégrer le Royal Navy College de Darmouth. Entre temps, en 1910, à la mort d'Edouard VII, le père d'Albert devint roi sous le nom de George V, tandis que son frère aîné devenait l'héritier du trône et que lui-même grimpait à la seconde place dans l'ordre de succession.

À compter de 1913, il embarque à bord de bâtiments de la Royal Navy en tant qu'aspirant, ce qui l'ammène sur presque toutes les mers du monde. Un an plus tard, alors que la Première Guerre Mondiale éclate et déchire l'Europe et le monde, il participe aux combats, notamment lors de la bataille du Jutland – le principal engagement naval de ce conflit – durant laquelle il officie en tant qu'officier de tourelle sur le HMS Collingwood (Her ou His Majesty Ship), ce qui lui vaut une citation militaire. Cependant il ne participa pas à d'autres combats pour deux raisons. La première est médicale, puisque étant déjà d'une santé fragile, il souffrait en plus d'un ulcère gastro-duodénal. La seconde est liée au fait que mis à part la bataille précédemment citée, le premier conflit mondial n'a pas donné lieu à de nombreux affrontements maritimes. Il n'a donc pas eu un grand nombre d'occasions de s'illustrer au combat. J'ajouterai tout de même une troisième raison à son absence de participation à d'autres combats : la couronne britannique ne pouvait pas se permettre de prendre le risque de perdre un de ses fils, même s'il n'était pas l'héritier direct. S'il était tombé au champ d'honneur, cela aurait certainement influé sur le moral britannique et l'ennemi aurait pu se targuer d'avoir coulé un membre de la famille royale. Ce ne sont certes que des suppositions, mais je pense que George V n'a pas voulu tenter le diable, et tout en laissant son fils dans l'armée, il a souhaité éviter qu'il ne prenne trop de risques. Quoiqu'il en soit, après avoir été opéré de son ulcère, Albert fut nommé officier à la base aérienne d'entraînement du Royal Naval Air Service à Cranwell. Lorsque deux mois plus tard la Royal Air Force fut créée sur les bases de ce Royal Naval Air Service, Albert devint de facto un officier de la RAF. Il devint au passage le premier membre de la famille royale à obtenir son brevet de pilotage. Il resta à Cranwell jusqu'en août 1918, date à compter de laquelle il intégra l'état-major de l'unité de bombardement stratégique de la RAF, basé à Nancy.

Après la guerre, en 1919, il entra au Trinity College de l'université de Cambridge, où il étudia entre autres l'histoire et l'économie. Au début des années 1920, après avoir été fait duc d'York, il commença à réaliser des missions que l'on pourrait qualifier de plus royales, en représentant par exemple son père lors d’événements publics. Par ailleurs, ses visites de mines de charbon, d'usines et de dépôts ferroviaires lui valurent rapidement le surnom de prince industriel. Mais ces apparitions publiques furent pour lui un vrai calvaire.

 

Un roi atypique

Son bégaiement lui rendait en effet insupportable toutes allocutions publiques, sujet de moqueries tant au sein de sa famille que dans le public et la presse. C'est après son discours de clôture de l'Exposition impériale britannique en 1925, qui fut un supplice tant pour lui que pour l'auditoire, qu'il commença à voir un orthophoniste australien, Lionel Logue, qui lui permit de faire des progrès remarquables, et salvateurs. C'est le sujet du film Le discours d'un roi, que je vous conseille vivement de regarder pour en apprendre plus sur le sujet. Sans être parfaites, les allocutions du duc d'York furent à compter de ce moment beaucoup plus naturelles et elles lui évitèrent les situations embarrassantes dans lesquelles il s'était déjà retrouvé auparavant. Il effectuera d'ailleurs un de ses discours les plus notables de sa vie en s'adressant à son peuple sur les ondes, leur annonçant en septembre 1939, que suite à la violation des accords de Munich par l'Allemagne nazie, le pays était en guerre. Un discours poignant entré dans l'histoire.

 Mais si vous connaissez George VI, ce n'est pas forcément uniquement par ce discours et ce film. De son union avec Elizabeth Bowes-Lyon le 26 avril 1923, naissent deux filles, Elizabeth, née en 1926, et Margaret en 1930. Leur aînée n'est autre que la reine actuelle, qui bat tous les records en termes de longueur de règne. D'ailleurs, la petite histoire derrière la rencontre entre Albert et Elizabeth est intéressante, puisqu’il a eu la liberté de choisir son épouse, alors qu'habituellement les membres de familles royales se mariaient entre eux. Il connaissait Elizabeth, fille du comte de Strathmore et Kinghorne, depuis leur enfance, et bien que déterminé à l'épouser lorsqu'il la revoit en 1920, elle repousse ses avances deux fois avant d'accepter. L'adage « jamais deux sans trois » ne s'est pas vérifié, mais la troisième fut la bonne. Un choix d'épouse qui peut nous paraître normal de nos jours, mais qui a l'époque était plus l'exception que la règle.

Vous avez sûrement relevé depuis le début de cet article qu'Albert était le deuxième fils de George V, et qu'il n'était donc pas amené à régner, mais il accède pourtant au trône sous le nom de George VI. Alors comment cela se fait-il ? Est-ce comme son père dont le frère aîné était mort d'une pneumonie ? Rien d'aussi tragique cette fois. Lorsque leur père meurt en janvier 1936, c'est évidemment son frère aîné Edward qui monte sur le trône sous le nom d'Edward VIII. Mais il abdique le 11 décembre 1936 en faveur de son frère Albert, qui était devenu l'héritier du trône du simple fait qu'Edward n'avait pas d'enfant. La raison de son abdication ? Il souhaitait épouser Wallis Simpson, une mondaine américaine déjà divorcée une fois, et en procédure de divorce avec son second mari. Or, le devoir d'exemplarité de la famille royale ne pouvait souffrir qu'une femme aux mœurs si légères, changeant presque de mari comme l'on change de chemise, puisse lui être associée. Autre temps, autres mœurs, et ne nous ne jetterons ici la pierre à personne. Stanlet Baldwin, alors premier ministre britannique, avait informé le roi qu'il ne pourrait pas rester sur le trône et épouser Wallis Simpson. Il préféra donc renoncer à la couronne plutôt qu'à sa relation avec elle, laissant sa place à Bertie, surnom que la famille royale donnait à Albert. Il hérita donc de la couronne au moment où les tensions européennes et mondiales devenaient les plus fortes, à une époque où l'idée qu'un nouveau conflit qui embraserait au moins l'Europe devenait de moins en moins saugrenue. Et s'il prit le nom de George VI, ce fut pour marquer la continuité avec son père et pour restaurer la confiance du peuple en la famille royale.

 

Des choix politiques, une incidence directe sur le conflit

Avant même le début du second conflit mondial, les choix en matière de politique de George VI, et notamment en ce qui a trait à la diplomatie, ont joué un rôle dans cette période entre son couronnement et l'éclatement de la guerre. Nous avions évoqué un peu plus haut la formation militaire du roi, et nous pourrions nous attendre qu'il soit en faveur d'un conflit avec une portée limitée. Mais son expérience de la Grande Guerre, l'observation qu'il a pu en faire en voyant comment la guerre mondiale pouvait décimer et marquer à vie des générations entières, a probablement eu une influence sur sa politique. Soucieux d'épargner à son peuple un nouveau bain de sang, il a soutenu son Premier Ministre Neville Chamberlain, espérant qu'il pourrait écarter ce possible conflit en apaisant les tensions internationales, notamment avec l'Allemagne nazie. Ce dernier mena une politique que l'on pourrait qualifier d'apaisement, laquelle mena en 1938 à la signature des accords du Munich. Malgré les critiques de l'opposition au Parlement qui considérait cette volonté d'apaisement comme inutile et vouée à l'échec, George VI continua à soutenir son Premier Ministre. Après la signature desdits accords, Chamberlain fut accueilli en triomphe lors de son retour à Londres, et il apparut même aux côtés du roi sur le balcon de Buckingham pour saluer la foule, une tradition normalement réservée à la famille royale.

Cependant, les accords obtenus par le Premier Ministre ne restèrent qu’un papier, Hitler les ayant rapidement ignorés et continuant ses actions agressives en Europe. En effet, alors qu’ils ont été le 30 septembre, en acceptant l’annexion des Sudètes au profit de l’Allemagne effective le 3 octobre, Hitler continue à vouloir créer son espace vital. Entre la nuit de cristal, la remilitarisation intensive allemande, l’anschluss et l’occupation de la Bohême-Moravie, tous les voyants sont au rouge, et tout montre qu’Hitler ne compte pas respecter les accords. Churchill prononce à ce propos un discours tristement prémonitoire, adressé au parlement britannique, sous forme de réquisitoire contre les accords de Munich :

« Vous aviez le choix entre la guerre et le déshonneur. Vous avez choisi le déshonneur, et vous aurez la guerre. Ce moment restera à jamais gravé dans vos cœurs ».

Sentant que la guerre devenait de plus en plus une possibilité, George VI et sa femme se rendirent en visite officielle aux Etats-Unis en juin 1939 afin de resserrer les liens entre les deux pays, forgeant au passage une solide amitié avec le président Franklin D. Roosevelt, et recevant un accueil chaleureux de la part de la population. En prévision de la guerre à venir, il était nécessaire de se faire des alliés et de renforcer les liens avec les anciens.

Alors que la guerre éclate le 1er septembre 1939, s’installe sur le front ouest une période que l’on appelle la « drôle de guerre », où chacun s’observe derrière ses lignes, anglais et français se réfugiant derrière l’importante ligne de fortification Maginot. Traumatisme de la Grande Guerre, qui influe encore sur les schémas de pensée des états-majors où la guerre de mouvement n’a pas vraiment le vent poupe. En mai 1940, tout s’accélère. Les alliés tentent de couper l’approvisionnement en fer de l’Allemagne, mais c’est un échec et une partie du corps expéditionnaire franco-britannique doit rembarquer précipitamment. Chamberlain doit quitter son poste et il est remplacé par Churchill le 10 mai 1940. Le roi n’est pas vraiment enchanté par ce choix de Premier Ministre, mais les deux hommes ont rapidement développé une forte relation de travail et un profond respect mutuel, accaparés par les nécessités et les responsabilités inhérentes à leurs postes respectifs. À compter de septembre 1940, il se rencontrèrent en privé chaque jeudi pendant plusieurs heures pour discuter du déroulement de la guerre et des cartes à jouer. À la fin de la guerre en Europe – le 8 mai, mais le conflit a duré jusqu’en septembre dans le reste du monde, notamment face au Japon – George VI fera d’ailleurs l’honneur à Churchill de l’inviter au balcon de Buckingham, comme il l’avait quelques années auparavant avec Chamberlain.

 

George VI, un roi exemplaire, soutien moral du peuple et des troupes

Au-delà de ses décisions politiques, George VI a également été un vecteur d’exemplarité et de soutien pour son peuple, rôle important quand tout un peuple est en guerre et qu’il envoie ses fils se faire tuer tout autour du globe. Alors que la guerre arrive sur le front ouest à compter de mai 1940, le Royaume-Uni voit pour la première fois depuis de nombreuses années les batailles portées sur son territoire, ou au-dessus si l’on veut être plus précis. Le premier bombardement aérien sur Londres eu lieu le 7 septembre 1940 et fit des centaines de victimes, principalement dans l’East End. Le 13 septembre, deux bombes tombèrent et explosèrent dans une cour de Buckingham alors que le couple royal s’y trouvait, évènement la reine commenta :

« Je suis heureuse que nous ayons été bombardés. Cela me fait sentir que nous sommes l’égal de l’East End ».

Remarque surprenante, un peu inconsciente, mais hautement symbolique montrant qu’il était important pour eux de montrer à la population qu’ils vivaient en ces temps difficiles les mêmes dangers qu’elle. Bien que résidant officiellement au palais de Buckingham, la famille royale passait généralement leurs nuits au palais de Windsor, à l’abri des bombardements. Sur la question du rationnement aussi la famille royale suivait les mêmes règles que le reste de la population, qu’Eleanor Roosevelt, première dame des Etats-Unis, nota lors d’un séjour à Buckingham, dans un palais non-chauffé et barricadé.

En plus de montrer à la population qu’ils vivaient les mêmes difficultés qu’eux, le couple royal se rendit à de nombreuses occasions sur les sites de bombardement et dans les usines de munitions, moments de soutien moral indispensables. Le roi créa d’ailleurs pour l’occasion la Croix de Georges (George Cross) le 24 septembre 1940, afin de récompenser les actes de courage et de bravoure des civils :

« […] acts of the greatest heroism or of the most conspicuous courage in circumstances of extreme danger ».

Elle est la plus haute récompense qui puisse être décernée à un civil, au même titre que la croix de Victoria pour les militaires. Il décerna cette médaille à titre collectif à l’ensemble de la population de l’île de Malte le 15 avril 1942, décoration qui figure sur le drapeau de l’île.

Hormis les civils, il fallait aussi soutenir les troupes qui versaient leur sang pour la défense de la patrie. Tout comme son père avant lui, George VI et sa femme rendirent de nombreuses visites aux soldats, essentiellement aux blessés, faisant le tour des hôpitaux. Il se rendit également auprès des bidasses en France en décembre 1939, en Afrique de Nord et à Malte en 1943, ainsi qu’en Normandie une dizaine de jours après le débarquement. Ces visites, qui peuvent nous sembler peu importantes, sont en réalité primordiales, car elles permettent au roi de montrer aux hommes qu’il s’intéresse à eux, et pour les soldats, cela constitue un véritable honneur de pouvoir rencontrer leur roi. Elles permettent ainsi de remonter le moral des troupes en leur montrant qu’ils ne sont pas laissés pour compte et que George VI s’inquiète de leurs conditions de vie.

George VI est donc un roi dont le règne a été marqué par l’un des conflits les plus meurtriers du monde. Ses décisions politiques, dans un premier temps pour éviter un conflit puis pour gagner la guerre, ont joué un rôle important dans le déroulement de la Seconde guerre mondiale. Il a su fédérer tout son peuple derrière lui, incarnant la résistance et l’opiniâtreté anglaise, peuple qui a su reconnaitre la valeur de son monarque et son rôle déterminant dans cet affrontement. À l’annonce de la fin de la guerre le 8 mai 1945, la foule en liesse s’était rassemblée devant le palais de Buckingham, scandant We want the King ! Une scène qui a dû être indéniablement poignante, parfait exemple de l’amour et du respect que le peuple lui portait.