Qui n’a pas déjà rêvé des Highlands, ces paysages verdoyants et montagneux, presque sauvages, où le temps semble s’être arrêté ? Victoria l’a fait. Et n’a pas hésité à exaucer ses désirs de libertés écossaises. De la volonté d’une femme, le château de Balmoral est entré dans la vie de la famille royale. Depuis le milieu du XIXe siècle, il est le père de certaines traditions qui font partis du quotidien des Windsor. Je vous invite à découvrir l’histoire peu connue de Balmoral, le plus royal des châteaux écossais.
Un château niché au cœur des Highlands
Balmoral n’a pas attendu la venue de la reine Victoria sur ses terres pour voir le jour. Son histoire remonte en fait au XIVe siècle. Le roi d’Ecosse Robert II fait d’abord construire un simple pavillon de chasse le long de la rivière Dee, au beau milieu d’une vaste étendue de forêts giboyeuse, afin d’assouvir sa passion. Le bon roi Robert qui s’est efforcé de s’entendre avec ses voisins anglais tout au long de son règne meurt en 1390. A cette date, Sir William Drummond récupère le terrain et fait ériger un manoir médiéval typiquement écossais.
La demeure fait alors l’objet de convoitises multiples. Les Clans sont nombreux à se hisser comme les heureux propriétaires du château et contribuent chacun à leur manière à son embellissement. Au XVe siècle, Alexander Gordon, troisième comte de Huntly, l’achète pour le léguer ensuite à sa famille. En 1662, il passe aux mains du Clan Farquharson de Invercauld. La décennie voit la restauration de la monarchie suite à la Première révolution et au Protectorat de Cromwell. Le Clan Farquharson prend volontiers les armes et part apporter son aide à Charles Stuart. Après l’acquisition du domaine et la monarchie remise en place, les Farquharson sont titrés comte de Balmoral en récompense de leur dévouement à Charles II. Mais en 1798 James Duff, deuxième comte de Fife, en fait l’acquisition. C’est d’ailleurs à Balmoral que sont organisées une partie des festivités pour le couronnement de George II en 1822.
Au cours du temps, la demeure est devenue un ensemble complexe d’une centaine de bâtiments, chacun représente un style architectural différent, lié à son époque de construction. A Balmoral, l’ensemble n’est pas harmonieux. Pourtant, c’est dans cet étrange état qu’il se présente devant la jeune souveraine de 29 ans.
Le coup de foudre royal
Victoria épouse son cousin Albert de Saxe-Cobourg et Gotha en 1840. Ils sont follement amoureux et ne mettent pas longtemps à donner naissance à des héritiers. Le tout nouveau palais de Buckingham ou le très ancien château de Windsor et leurs immenses pièces dorées ne sont pas propices à une vie familiale. Très vite, Victoria et Albert cherchent à se construire un véritable cocon capable d’abriter leur famille qui ne cesse de s’agrandir. Albert choisit l’île de Wight comme terres rêvées et se met tout de suite au travail. Il dessine les plans d’une immense demeure qu’il nomme Osborn House. Mais en 1848, un intru (dont l’identité demeure inconnue) réussit à entrer sur le domaine. L’Angleterre se scandalise face à la sécurité de la reine. Le couple royal prenant peur, le physicien de la reine, James Clark, afin de leur changer les idées, leur propose de séjourner dans un château écossais réputé sûr qui appartient à son ami diplomate Robert Gordon.
Pour la première fois depuis 1822, Balmoral accueille des invités royaux. A ce moment-là, Victoria attend son sixième enfant et ne cherche qu’une chose : la tranquillité. Elle et son époux sont subjugués par l’édifice, mais surtout, par son cadre majestueux : la rivière, les forêts, et les grandes étendues d’herbes ne peuvent que convenir à leur famille. Ils louent d’abord le domaine avant de finalement se décider à s’en porter acquéreurs. Oui mais voilà, leur fortune personnelle ne leur permet pas une telle folie. Comme un véritable miracle, Victoria a le plaisir de se voir couchée sur le testament de John Camden Neild, juriste multimillionnaire excentrique. La fortune de la reine est faite. Le doute n’est désormais plus permis. En 1853, ils achètent Balmoral pour 30 000 livres sterling. C’est ainsi que le château devient l’une des propriétés privées de la famille royale jusqu’à nos jours.
Un château écossais ou germanique ?
Comme pour Osborn House, le couple royal veut faire de Balmoral un paradis familial. Albert est passionné d’architecture et l’a montré avec cette immense demeure de l’île de Wight. A peine acheté, Balmoral est sous les coups de crayon du prince-consort. Les 3 000 hectares de forêts de Balmoral rappellent au mari de la reine sa Saxe natale. Il dessine les plans d’agrandissement et d’harmonisation des façades alliant le style germanique et des châteaux écossais.
Pour réaliser les travaux, Albert donne toute sa confiance à l’architecte William Smith d’Aberdeen. Sous ses ordres, une centaine d’ouvriers s’attellent à offrir la splendeur royale que Balmoral mérite. La première pierre de l’édifice est posée le 28 septembre 1853 par la reine Victoria. Mais durant les travaux, il n’est pas question pour Victoria de se priver de son eldorado écossais. La construction, toute de granit banc cassé extrait de la carrière voisine de Glen Gelder, s’élève à une centaine de mètres de l’ancien château qui finis par disparaître. Lorsque les travaux prennent fin en 1856, c’est une magnifique demeure d’une centaine de pièces décorées de tapis et de papiers peints aux motifs tartan et de chardons qui fait son apparition. Le château est divisé en deux parties : le coté Sud-Ouest, avec sa haute tour horlogère, abrite les appartements royaux, tandis que le côté Nord-Est est réservé au personnel. A Balmoral, les traditions sociales de l’Angleterre du milieu du XIXe siècle ne sont pas oubliées pour autant.
La vie de campagne à la cour de la reine Victoria
Dans ce château flambant neuf, la tradition écossaise prime avant toute chose. La reine et ses enfants apprennent les danses traditionnelles, tandis que le kilt est de rigueur quotidiennement pour ces messieurs. Pour prévenir l’heure du dîner, la cornemuse est de sortie. La plus grande salle de la demeure est le théâtre d’une tradition qui se perpétue jusqu’à nos jours. Chaque année, les membres de la famille royale se mêlent au personnel le temps d’une soirée pour le Ghillie’s ball. Mais un événement vient mettre un terme aux joies de la vie à Balmoral.
En 1861, le prince Albert meurt prématurément. Victoria, inconsolable, s’enferme dans un veuvage interminable. Elle se rapproche de John Brown, un domestique écossais qui avait été écuyer de son défunt époux, au grand dam de ses proches. Mais l’atmosphère n’est plus à la fête. Toute de noir vêtue, la reine instaure un rythme de vie drastique ponctué de balades en calèche malgré la météo capricieuse qui règne en maître sur les Highlands. S’enfermant dans ses châteaux, y compris Balmoral, elle refuse la plupart de ses obligations officielles. Si Victoria adore passer du temps dans son domaine écossais, ce n’est pas l’avis de ses courtisans. L’une de ses dames d’honneur rapporte, après la fin de son service royal en 1890, qu’à Balmoral la nourriture était « horrible et la domesticité puait le whisky », tandis que les distractions étaient « inexistantes ». Le secrétaire d’Etat Henry Campbell-Bannerman va même plus loin. Pour lui, c’était « comme un couvent. Petit déjeuner à 9h45, déjeuner à 14 heures et dîner à 21. Et ensuite retour dans nos cellules ».
Un été à Balmoral
Victoria rend son dernier souffle en 1901. Après elle, Balmoral ne sombre pas dans l’oubli. Edward VII est le premier à reprendre les habitudes de sa mère de passer l’été en Ecosse. George V, George VI puis Elizabeth II vont également faire de même. Pour un membre de la famille royale, Balmoral est synonyme de temps heureux d’une vie estivale et familiale. Mais s’il est un monarque qui apprécie particulièrement ce château, c’est bien Elizabeth II.
La reine apprécie la vie de campagne. A l’une de ses dames d’honneur, elle aurait confié que si elle n’aurait pas été reine, elle aurait aimé vivre à la campagne, entourée de ses chiens, de ses chevaux et de sa famille. Balmoral convient parfaitement à cette amoureuse du grand air par ces immenses paysages de nature sauvage. La rivière Dee, proche du château, est le lieu idéal pour les barbecues et les pique-niques en famille, où Philip s’amuse à faire griller saucisses et steacks sur le grill. Sur le domaine, le mot d’ordre est la simplicité. Tout invité de la reine devra mettre la main à la pâte pour ces moments tant appréciés par la souveraine. Pendant un temps, Elizabeth II semble redevenir Lilibeth, une simple propriétaire terrienne aux plaisirs champêtres. La reine aime tellement son domaine qu’elle l’agrandit en 1978 en achetant 7 500 hectares de forêts supplémentaires. La chasse est bien évidemment l’activité favorite des résidents de Balmoral. La reine mère a aussi initié Elizabeth II au plaisir de la pêche. Lorsqu’elle est en Ecosse, elle n’hésite donc pas à se promener le long de la rivière Dee tout en pêchant le saumon.
Mais l’étiquette ne reste jamais très loin. Si Balmoral a l’apparence d’un château familial, il demeure pas moins une demeure royale. Quarante salariés viennent s’ajouter aux cinquante-six personnes employées à plein temps pour l’entretien du domaine lorsque les Windsor sont à Balmoral. Les dîners restent très solennels. Il n’est pas question de terminer son repas avant la reine, ou même de se coucher avant elle. La famille royale demeure, même lorsqu’elle est en vacances.
Les heures sombres
Pourtant, Balmoral rappelle aussi un souvenir funeste. Le 31 août 1997, la princesse de Galles décède tragiquement dans un accident de voiture à Paris. Comme chaque année à partir du mois de juillet, les Windsor se trouvent à Balmoral lorsque la nouvelle arrive jusqu’à elle. Le premier réflex d’Elizabeth II est de protéger ses petits enfants de la folie médiatique qui s’empare du monde. Elle fait fermer le domaine, interdisant les télévisions et les radios dans l’enceinte de Balmoral et s’occupe, comme elle peut, de ses petits-enfants inconsolables. Philip organise des parties de chasse pour occuper William et Harry, tandis que la reine réfléchit sur l’avenir en se promenant dans ses forêts.
La famille royale s’enferme dans son domaine écossais alors que son peuple souffre. La reine n’a pas l’intention de prendre la parole, respectant à la lettre cette doctrine victorienne : « never explain, never complain ». Aucun drapeau n’est mis en berne sur les palais royaux. Les Anglais s’indignent et la presse fait échos de la stupeur populaire. Le tout nouveau Premier Ministre Tony Blair intervient en urgence pour apaiser la colère des Britanniques. Finalement, Elizabeth II et sa famille prennent la décision à rentrer à Londres et à apparaître en public quatre jours plus tard. Fait exceptionnel, la reine exprime ses sentiments de grand-mère et son chagrin pour la mort de Diana dans un discours télévisé. Balmoral aura donc été le témoin des heures les plus graves de la monarchie britannique moderne.
Balmoral est exceptionnel en bien des aspects. Son style, parfois adulé, parfois détesté, ne laisse personne indifférent. Son cadre majestueux coupe le souffle à tous ses visiteurs. Mais bien plus qu’un simple château écossais, il est la demeure privée de la famille royale britannique qui vient y passer ses étés. Dans les moments de joie comme de peine, Balmoral a toujours été présent dans l’histoire de la monarchie d’outre-Manche, devenant un témoin discret de son présent et de son passé.
Un immense merci à Pauline Darley qui a accepté de partager ses magnifiques photos de Balmoral !