C’est l’un des animateurs préférés des Français. Il est passionné d’histoire et de patrimoine. Le Gotha n’a plus de secrets pour lui. Pour Monarchie Britannique, Stéphane Bern a bien voulu nous accorder un entretien exclusif. Il revient sur le règne d'Elizabeth II, la personnalité du prince Charles ou encore le rôle de la famille royale. Une interview à découvrir et à consommer sans modération.
Le règne d’Elizabeth II touche malheureusement presque à sa fin. Quel regard portez-vous sur son bilan ? Et comment expliquez-vous cette aura extraordinaire dont bénéficie internationalement « The Queen » ?
Ce qui est fascinant avec la reine Elizabeth II, c’est qu’elle est sur le trône depuis 68 ans. Voilà une femme qui va avoir 94 ans et qui jouit d’une côte de popularité qui est proche des 90%. Contrairement à beaucoup de chefs d’Etat élus, la longévité de son « mandat » n’en a jamais souffert. Elle a vécu en près d’un siècle toutes les révolutions possibles, de la création de la télévision aux réseaux sociaux. Elle a su les accompagner à la bonne distance que doit être la monarchie, c’est-à-dire ne pas précéder les modes, ne pas les suivre, mais au contraire s’adapter. En cela repose la principale force de cette institution qu’elle incarne.
Son règne est plus que positif. Comme souveraine et chef de l’Eglise anglicane, elle n’a jamais failli à sa mission. N’oublions pas que son rôle est avant tout d’être un magistère moral. Elle a le devoir de conseiller, de mettre en garde, et d’encourager, sans pour autant entrer dans la sphère politique. Elle a toujours été ce roc immuable et intangible dans la tempête. Elle arrive à nous faire croire que l’Angleterre est encore un empire qui n’a rien perdu de sa force ni de son aura. C’est un sans-faute, il faut le reconnaitre.
« Le prince Charles a fait énormément de choses pour son pays. »
On évoque beaucoup de changements à venir au sein de la famille royale et de la monarchie lorsque le prince de Galles va monter sur le trône. Succéder à sa mère ne sera pas chose aisée. Est-il prêt selon vous et a-t-il raison de vouloir réduire drastiquement le nombre de royaux au sein des Windsor ?
Oui, je pense qu’il est prêt ! Mais il doit avoir conscience que lorsqu’il montera sur le trône pour succéder à sa mère, il deviendra sourd, aveugle et muet à la fois. La grande force du prince de Galles est d’avoir été une voix libre et de dire des choses avant tout le monde. D’ailleurs, on doit lui rendre justice aujourd’hui. Il s’est exprimé sur l’environnement, la nature, et les énergies renouvelables il y a 40 ans. Aujourd’hui, tous ces thèmes sont au cœur de notre société. Hier on le faisait passer pour un doux rêveur, aujourd’hui tout le monde lui donne raison. Avec toutes ses fondations de charité, comme Prince Trust, il a donné du travail à des milliers de jeunes. Le prince Charles a fait énormément de choses pour son pays. Avec le Coronavirus, il était en première ligne alors qu’il a été lui-même contaminé. On est loin de l’image dilettante qu’on lui colle à la peau.
Concernant sa famille, je pense qu’il a raison de vouloir restreindre le nombre de membres de la famille royale. Les rois de Suède et d’Espagne ont commencé également à le faire. Je pense qu’à terme les Britanniques ne voudront plus d’une famille royale pléthorique avec un certain nombre de bouches oisives à nourrir. L’institution monarchique doit se concentrer sur un noyau familial, à savoir le souverain, son épouse et ses héritiers directs. Les branches collatérales doivent donc se préparer à travailler comme tout citoyen, encore plus dans le contexte économique que nous subissons. Et cela, il l’a très bien compris.
La tradition britannique continue à dicter le fonctionnement de la monarchie. Cette tradition est faite de titres et de règles qui peuvent parfois paraître désuets. Selon vous, comment le prince Charles perçoit-il l’institution monarchique du Royaume-Uni aujourd’hui ?
Lorsqu’il parle de défenseur des fois et non pas de la foi, le prince Charles pose ainsi un certain nombre de questions, notamment sur ce qu’est devenu le Royaume-Uni. La monarchie doit prendre le tournant d’un pays qui est aujourd’hui multiracial, multiculturel et multi-ethnique. Le pays a bien changé depuis 1952, ce ne doit plus être l’Establishment qui règne ! Une première étape a été d’ailleurs franchie avec le mariage de Kate et William. Pour la première fois, la classe moyenne a fait son entrée au sein de la famille royale. La deuxième étape a été l’union de Meghan Markle et Harry. Le prince de Galles est un partisan acharné, depuis de longues années, du dialogue inter-religieux et de la mixité sociale. Le discours prononcé par le prince Charles, après sa convalescence, parle de lui-même. Il a donné un visage à tous ces gens qui sont en première ligne, longtemps ignorés par l’establishment, en les remerciant.
« Etre prince en 2020, ce n’est plus un titre, ce n’est plus une position sociale, c’est un métier à plein temps. »
Brexit et MegXit, pensez-vous que la famille royale a pleinement géré ces deux crises importantes tant dans l’histoire du Royaume-Uni que dans celle de sa dynastie ?
Pour le Brexit, on n’a pas vraiment demandé l’avis de la reine. Mais elle l’a peut-être donné à son Premier Ministre. N’oublions pas, la reine règne et le Premier Ministre gouverne à travers le choix librement exprimé des Britanniques. Quant au Megxit, utiliser les réseaux sociaux pour annoncer leur retrait était discourtois vis-à-vis de la reine. Mais c’est assez symptomatique de cette génération de trentenaires qui veut tous les avantages sans les inconvénients afin de vivre une vie normale. Mais quand vous êtes prince de Grande Bretagne, vous n’êtes pas quelqu’un de normal où vous pouvez rentrer du jour au lendemain dans l’anonymat. Vous savez aujourd’hui, être prince en 2020, ce n’est plus un titre, ce n’est plus une position sociale, c’est un métier à plein temps. Vous avez à la fois un rôle de modérateur, d’influenceur, de médiateur, et de leader. Et vous devez en permanence montrer l’exemple, surtout à l’ère de la transparence !
« Elizabeth II est la figure maternelle du Royaume-Uni. »
La seule expérience républicaine connue au Royaume-Uni, avec les Cromwell, a été un échec. Pourquoi les Britanniques sont-ils autant attachés à leur monarchie alors qu’en France cela semble désuet à une majorité de nos concitoyens ?
Le Royaume-Uni n’a pas de constitution écrite, à part la Magna Carta. La monarchie britannique a su évoluer vers le parlementarisme. En France, cette monarchie parlementaire a été un échec. Louis XVIII avait en partie réussi à l’instaurer. Mais son frère Charles X s’est empressé . Un retour a ensuite été possible avec Louis-Philippe, mais la Monarchie de Juillet était bien trop bourgeoise et pas assez populaire. Et c’est ce qui a manqué à la France. Monarchie et démocratie sont les deux faces d’une même médaille. L’un ne va pas sans l’autre. C’est ce que vivent au quotidien les Britanniques. Ils ont compris qu’ils avaient besoin d’un pouvoir transcendantal avec une figure emblématique et symbolique qui rassemble. Elizabeth II est la figure maternelle du Royaume-Uni. Or en France, on a fait un autre choix, radical, de se détacher de cette figure paternelle du roi en lui coupant la tête. Et là est toute la différence entre nos deux systèmes. La monarchie offre cette possibilité d’une figure familière, à bonne distance, qui est symbolique mais qui a un réel pouvoir moral. A contrario, il est toujours difficile pour un Président de la République d’incarner cette figure et de prendre de la hauteur. En France, pour prendre une métaphore footballistique, c’est le capitaine d’une des deux équipes qui s’affrontent sur le terrain qui prétend ensuite devenir un arbitre. Pas simple !
« Elizabeth II est un véritable mythe vivant. »
Vous êtes l’un des ambassadeurs privilégiés de l’amitié franco-britannique, vous avez été fait chevalier de l’Ordre de l’Empire britannique par la reine en 2014. Qu’avez-vous ressenti ce jour-là ? Quel est votre plus beau souvenir de cette journée ? Et comment Elizabeth II s’est adressée à vous ?
C’était un moment solennel et très impressionnant parce qu’Elizabeth II est véritablement un mythe vivant. C’était la première fois qu’elle présidait une cérémonie d’investiture hors du royaume. Nous n’étions que six. On vous explique d’abord comment vous comporter, avant de participer à des répétitions. La reine vient nous voir par petits groupes pendant qu’une artiste joue une musique subtile de telle sorte que le groupe d’à côté n’entende pas ce qu’elle vous dit. Elle est la femme la plus adorable qui soit. Elle est d’une gentillesse, d’une courtoisie. Elle a toujours un mot d’humour. Elle m’a même avoué avoir regardé le Secrets d’Histoire que j’avais réalisé sur son aïeule la reine Victoria. C’était un moment très émouvant. Elle m’a décoré à l’ambassade de Grande-Bretagne avant même d’entamer sa visite d’Etat. C’est amusant de savoir qu’avant même de rencontrer le Président, elle nous a privilégiés. Elle est ensuite revenue pour discuter avec les invités. Elle a la simplicité des grands de ce monde. Elle vous fait sentir qu’elle est là pour vous.
« Ces figures royales sont très importantes car elles sont l’incarnation d’une histoire millénaire. »
Vous êtes considéré comme le spécialiste du Gotha, avec quel membre de la famille royale, gardez-vous le souvenir le plus ému ?
Je ne me suis jamais prétendu spécialiste du Gotha. Dans ma carrière, j’ai fait plein d’autres choses. Mais j’ai toujours gardé une tendresse particulière pour ces figures emblématiques qui nous tendent un miroir dans lequel on peut nous voir mieux que nous sommes. Elles ont des racines et nous plongent dans notre histoire. Elles nous rappellent ici et maintenant d’où nous venons. Ces figures royales sont très importantes car elles sont l’incarnation d’une histoire millénaire. J’ai rencontré le duc d’Edimbourg, qui est un personnage qui m’a beaucoup amusé avec son flegme et son humour décapant. Le prince de Galles également à qui on reproche toujours tout et son contraire. Mais aussi Edward et Sophie de Wessex qui sont des gens adorables. Ce qui frappe dans cette famille royale, c’est leur gentillesse, leur courtoisie et leur simplicité qui sont inversement proportionnels à tout le protocole et le faste qui les entourent.
« L’histoire est vraiment indissociable du patrimoine. »
On vous sait très attaché au patrimoine français. Le Président Emmanuel Macron vous a d’ailleurs chargé d’une mission patrimoine destinée à le sauver. Certains monuments français sont d’ailleurs intimement liés à la monarchie britannique tels que le château de Candé, l’abbaye de Fontevraud, l’abbaye des Hommes de Caen ou encore Château Gaillard. Parmi ces quelques monuments le quel préférez-vous ?
Vous savez, je suis attaché au patrimoine depuis que j’ai 15 ans. Je dis souvent avec humour que le Président Emmanuel Macron n’était pas encore né que je m’occupais déjà de la défense du patrimoine. J’ai donc été très heureux que l’on me confie cette mission, bénévole, pour sauver le maximum de monuments. Le patrimoine, c’est notre identité, notre histoire et nos racines. C’est ce qui fait vivre nos villages et c’est le seul facteur d’égalité entre les zones urbaines et rurales. Le monument lié à l’histoire britannique qui me fascine le plus est indubitablement l’abbaye de Fontevraud avec ses gisants d’Aliénor d’Aquitaine, d’Henri II et de Richard Cœur de Lion. C’est quelque chose d’unique et qui est lié au Secrets d’Histoire que j’ai réalisé sur Aliénor d’Aquitaine. Quand je me suis retrouvé seul dans cette nef devant ces gisants, j’ai ressenti de fortes émotions. On comprend l’histoire que lorsque l’on est dans les lieux où elle s’est déroulée. L’histoire est vraiment indissociable du patrimoine.
Nos remerciements chaleureux à Stéphane Bern qui a bien voulu nous accorder cette interview.