Interview | Hubert de Lisle - une vie au service de Sa Majesté

Samedi 15 octobre 2022, 14h15. Les portes du Castel de La Roche-Posay s’ouvrent à nous. Nous découvrons une magnifique demeure, toute de blanc vêtue, qui se dresse fièrement sur les hauteurs des remparts situées le long de la Creuse. Cette propriété trouve ses origines au XVe siècle, pendant une époque où elle servait de base défensive aux soldats protégeant la ville. Elle subira de nombreuses modifications jusqu’au XIXe siècle pour devenir cette fabuleuse propriété au charme époustouflant. A lui seul, le Castel représente la Roche-Posay.

Nous traversons la cour de la propriété pour se diriger vers l’entrée. Sous une pluie battante nous attend Hubert de Lisle, propriétaire des lieux depuis 2005. De son délicieux accent anglais, il nous présente sa charmante épouse. Il porte ce jour-là une cravate rayée bleu marine sur fond rouge qui attire notre attention. Ces couleurs sont celles des régiments de la Household Division. Et oui, l’élégance de Hubert de Lisle est le fruit de toute une vie qu’il mena au service de la reine Elizabeth II.

Il nous présente la salle de réception où une magnifique bibliothèque côtoie des portraits de la famille royale et d’autres souvenirs de sa vie dans ce régiment prestigieux. Union Jack en berne, drapeau tricolore et aquarelles représentant l’évolution de l’uniforme du régiment depuis sa création en 1656 forment un décor idéal pour porter sa voix chaude jusqu’à notre micro.

Un mois seulement après la disparition de la monarque iconique, cet ancien officier britannique des Grenadier Guards a accepté de revenir exclusivement pour Monarchie Britannique sur sa riche vie passée à servir avec honneur, dignité et loyauté sa souveraine.

"Je suivais mon père et le reste de la famille qui avaient déjà servi dans ce même régiment."

 

[Kévin Guillot] Quel fut votre parcours au sein de l’armée britannique ?

[Hubert de Lisle] Je me suis engagé dans l’armée britannique en 1965 comme simple soldat dans le régiment des Grenadier Guards, premier régiment de l’infanterie de la Garde de la Maison du souverain. Un an plus tard, j’ai été nommé officier après l’école militaire. Je suivais mon père et le reste de la famille qui avaient déjà servi dans ce même régiment. J’y suis resté jusqu’en 2001 terminant au grade de lieutenant-colonel.

 

[KG] Aux yeux des Français, les Grenadier Guards sont uniquement des soldats à l’uniforme rouge flamboyant, portant un gigantesque bonnet à poils d’ours, qui restent figés devant les palais royaux. Mais à quoi servent-ils réellement ?

[HdL] Nous sommes un régiment qui est un peu multi-utile. Un jour nous sommes à Londres, et un autre nous sommes dans les DOM-TOM ou dans une opération extérieure. Quand les Grenadier Guards sont à Londres, ils sont avec leur tunique rouge et leur bonnet à poils. Mais lorsqu’ils sont en opération à l’étranger comme en Allemagne, à Chypre, aux Malouines, partout où il le faut, ils sont en uniforme normal de camouflage. Si le régiment assure la sécurité du souverain au quotidien et participe aux cérémonies officielles, il est aussi déployé là où le Royaume-Uni est militairement engagé.

 

"Elle était très informée sur moi, ma carrière et ma famille."

[KG] A quels moments avez-vous rencontré la reine ?

[HdL] J’ai rencontré la Reine en 1967 lorsqu’elle a présenté un nouveau drapeau au Régiment, puisqu’il est utilisé régulièrement, il est remplacé tous les 15 ans. J’ai eu la chance de l’accueillir en 1971 pour le Royal Tournament "La nuit des Armées" à Earl’s Court, un festival militaire britannique. La reine fut la première à arriver, ensuite est venue la duchesse de Kent et enfin le reste des membres de la famille royale qui sont venus tous les soirs. Je l’ai ensuite accueilli à chaque fois qu’elle est venue visiter le régiment. L’autre grande rencontre avec Sa Majesté a eu lieu en 2003 lors de la visite d’Etat du président Vladimir Poutine. Dans un moment privé, elle a remis au président un drapeau des derniers Russes blancs favorables au tsar Nicolas II qui avait été confié en 1956 aux Grenadiers.

 

[KG] Quel est votre meilleur souvenir de la reine Elizabeth II ?

[HdL] J’étais commandant en second d’un régiment en Irlande du Nord en 1986. Elle m’a invité pour un café à Buckingham Palace parce qu’elle voulait savoir ce que vivaient les militaires dans ce qui n’était plus une guerre à ce moment-là, mais dans cette situation qui restait encore très restreinte. J’avais un régiment dont la majorité était des protestants. Et moi en tant que catholique, elle était intéressée de savoir ce que je pensais de la situation. Elle m’a reçu pendant une heure. Elle était très informée sur moi, ma carrière et ma famille. Ça a été un très grand moment, elle était charmante, me mettait à l’aise. Ce n’était pas du tout formel et nous avons beaucoup échangé.

[KG] Avez-vous rencontré d’autres membres de la famille royale ?

[HdL] Ma rencontre la plus récente fut en 2009 avecle prince Charles pour une histoire de soutien aux armées. J’avais quitté l’armée à ce moment-là et il m’avait invité à Saint-James Palace pour un événement qui rassemblait quelques officiers. Nous nous sommes bien entendus. Je l’avais déjà rencontré, notamment en 2006 où nous avions été invités avec mon épouse à la cérémonie qui fêtait la remise en état du château de Windsor, mais là c’était entre amis si l’on peut dire.

 

"J’ai été extrêmement triste mais pas surpris."

 

[KG] Qu’avez-vous ressenti au moment où a été annoncé le décès de la reine ?

[HDL] J’ai été extrêmement triste mais pas surpris. Nous, les officiers des Grenadier Guards, avions vu annulée une rencontre avec Elizabeth II au mois de mai de cette année parce qu’elle n’était pas assez en forme pour honorer cet engagement. Nous étions donc déjà avertis qu’elle n’allait pas bien. Elle s’est certainement préservée pour pouvoir apparaître au balcon de Buckingham Palace au moment du Queen’s birthday en juin dernier. Je ne vais pas dire que l’on était préparé mais on savait que c’était les derniers moments de Sa Majesté.

[KG] Que pensez-vous de Charles III ?

[HdL] Le prince Charles, on va l’appeler le roi Charles III, a eu des années pour pouvoir se perfectionner. Il n’y a rien qu’il ne connaît pas, et je suis sûr qu’il sera parfait. Il a les connaissances et énormément de gens pour le conseiller. Je pense qu’il s’inscrira parfaitement dans les pas de sa mère.

 

[KG] Pensez-vous que le roi Charles III sera en mesure de garantir la popularité de la monarchie britannique, malgré l’absence de la très aimée et regrettée reine Elizabeth II ?

[HdL] Il ne peut que faire cela car c’est déjà assuré. Il a un fils qui est maintenant le prince de Galles et un petit-fils qui suivra. Je crois que tout est en place pour qu’il y ait un accord vis-à-vis du peuple anglais et de la royauté. Charles III garantira la popularité de la monarchie au Royaume-Uni pendant tout son règne.

 

Avant de nous quitter, Hubert de Lisle ne résiste pas à nous raconter une dernière anecdote royale. Sur les murs de l’entrée de la demeure se trouve un cadre qui renferme une aquarelle représentant un homme à cheval. « C’est moi. Je montais un canasson qui appartenait au prince Philip. J’étais chargé de le débourrer avant que le duc d’Edimbourg ne le monte ».

Nous remercions infiniment M. de Lisle pour l'accueil chaleureux qu'il nous a réservé et pour avoir eu la gentillesse de répondre à nos quelques questions.