« Honi soit qui mal y pense », c’est par un vieux français perpétuel que s’exprime, un jour de 1348, Edward III, roi d’Angleterre, seigneur d’Irlande et duc d’Aquitaine. C’est par cette courte phrase que naît un ordre de chevalerie appelé à se perpétuer. L’ordre de la Jarretière est aujourd’hui considéré comme l’ordre de chevalerie le plus noble et le plus important d’Angleterre. Sept siècles après sa création, il est aussi considéré comme le plus ancien du monde. Depuis le XIVe siècle, cet ordre accompagne les tumultes de la monarchie britannique. Bien plus qu’un simple artifice servant les ors d’une monarchie sans cesse en quête de pouvoirs, l’ordre de la Jarretière possède sa propre histoire qui fait sa spécificité.
Une fondation au contexte troublé
Sur le trône depuis dix ans, Edward III déclenche la guerre de cent ans en 1337. Edward est le seul descendant mâle de son grand-père Philippe IV le Bel de France. De ce fait, il revendique la Couronne de France aux yeux de l’actuel monarque Très Chrétien Philippe VI de Valois. Mais les Français revendiquent l’existence de la loi salique qui interdit aux femmes, et à leurs héritiers, de régner sur la France. Edward ne pouvait prétendre à la couronne de France que par sa mère, Isabelle de France. Si Edward était l’égal du roi de France par son titre de monarque, il était aussi son vassal en tant que duc d’Aquitaine. Plutôt que de régler cette querelle pacifiquement en rendant hommage à Philippe VI, il se présente lui-même comme roi de France et d’Angleterre. La guerre éclate. Fort de ses nombreuses victoires comme celle de Crécy, Edward se sent capable de mener un siège sur la ville portuaire de Calais. En 1347, après onze mois de siège, Calais tombe aux mains d’Edward III.
Victorieux, Edward sécurise lui-même sa nouvelle terre en restant plusieurs mois en cette cité. Le roi présent à Calais, toute la cour se retrouve entre les murs de sa ville. Pour les distraire, Edward donne un bal le 23 avril 1348 en son palais d’Eltham. Edward se met alors à danser avec sa maîtresse du moment, la comtesse de Salisbury. Mais en dansant, la comtesse laisse tomber sa jarretière. Plein de courtoisie, Edward lui ramasse sous les railleries de la cour. Pour faire taire ces moqueries, le roi la mit à son propre genou et déclare :
« Messieurs, honi soit qui mal y pense. Ceux qui rient maintenant seront très honorés d'en porter une semblable, car ce ruban sera mis en tel honneur que les railleurs eux-mêmes le chercheront avec empressement. »
C’est en ce jour de fête qu’Edward III décida la fondation d’un nouvel ordre de chevalerie en Angleterre : l’ordre de la Jarretière.
La plus haute distinction d’Angleterre
Cette phrase, prononcée en français, devient la devise de l’ordre de chevalerie, et la jarretière son symbole. Dès sa création, l’ordre se compose de vingt-cinq chevaliers compagnons rassemblés autour du souverain et du prince de Galles, en plus de membres surnuméraires. Des chevaliers qui obtiennent un droit de préséance lors des cérémonies officielles, le droit d’ajouter le préfixe « Sir » ou « Lady » pour une femme, et le droit d’accompagner à leurs armoiries une représentation de la jarretière. Ainsi, l’ordre de la Jarretière devient la plus haute distinction d’Angleterre. Une fois le Royaume-Uni créé en 1707 par l’Acte d’Union, seul l’ordre du Chardon surplante celui de la Jarretière en Ecosse.
A sa création l’ordre était uniquement réservé aux hommes, mais en 1488 Henri VII Tudor décide de faire de sa mère, Margaret Beaufort, la première Dame compagnon de la Jarretière. Mais Margaret reste une exception pendant des siècles. Seul Edward VII renouvela l’action en nommant sa femme, Alexandra, en ce grade en 1901. Dès lors, la tradition veut que l’épouse du souverain soit automatiquement nommée au sein de l’ordre de la Jarretière. Mais seules les reines-consort, et reines de plein droit, s’imposaient. Les femmes en général ne furent autorisées à entrer au sein de l’ordre qu’en 1987, par décision d’Elizabeth II. Ainsi, en 1995, Elizabeth II honore les actions de Margaret Thatcher et la nomme au sein de l’ordre.
Au départ, lorsqu’un siège de chevalier était vacant, le souverain devait choisir le nouveau chevalier parmi une liste de noms proposés par les autres membres de l’ordre. Chaque chevalier proposait neuf candidats : trois ayant un rang équivalent ou supérieur à celui de comte, trois à celui de baron, et trois à celui de chevalier. Ce n’est qu’à partir de 1860, la nomination des membres devient le fait de la volonté du souverain, sous les conseils du Premier Ministre. Mais George VI pensait que l’appartenance à l’ordre était devenue beaucoup trop liée au parrainage politique. Pour mettre un terme à ces influences néfastes, en 1946 il décide que désormais seule la décision personnelle du souverain compte. Ainsi, l’ordre de la Jarretière devient un don royal au prestige inégalable.
L’élargissement nécessaire
Les membres de la famille royale faisant parti de l’ordre ne font pas partis des vingt-cinq chevaliers compagnons. George III voulait récompenser ses sept fils. Mais le nombre de membres était strictement limité. Si le prince de Galles était automatiquement récompensé, les autres membres de cette famille ne l’étaient pas. En 1786, il décide de créer des membres surnuméraires qui permettent d’élargir le nombre total de membres selon le bon vouloir du souverain.
De plus, dès sa création, l’ordre compte des membres étrangers. Ainsi, en 1348, Edward III nomma Jean de Grailly, captal de Buch et l’un des principaux capitaines de la guerre de Cent ans qui prêta allégeance à l’Angleterre, chevalier de l’ordre en récompense pour ses actes militaires. Des nominations au contexte souvent politique. En ce sens, c’est pour resserrer des liens entre deux nations, ou pour récompenser des hommes étrangers ayant travaillé au prestige de l’Angleterre, que de nombreux membres non-anglais entrèrent au sein de l’ordre au cours des siècles.
Mais le souverain peut révoquer des adhésions, selon son bon vouloir. En 1915, par exemple, dans le contexte de la Première guerre mondiale, George V révoqua celles du kaiser Guillaume II d’Allemagne et de l’empereur François-Joseph d’Autriche-Hongrie. En somme, le souverain d’Angleterre demeure le maître de son ordre. Seule sa décision suffit pour voir entrer ou sortir un membre.
En plus de ces membres surnuméraires, l’ordre de la Jarretière compte également des chevaliers militaires de Windsor. D’abord appelés les chevaliers pauvres, ils deviennent les chevaliers militaires de Windsor au XIXe siècle. Ils sont d’abord des vétérans ruinés, à qui l’on demandait de prier tous les jours pour les chevaliers compagnons de l’ordre en échange d’un salaire et d’un logement au château de Windsor. Mais de nos jours, se sont uniquement des militaires à la retraite qui ne sont pas considérés comme des membres à part entière de l’ordre.
Des cérémonies au décorum imposant
L’ordre est rattaché à la chapelle royale Saint George du château de Windsor. C’est en ce lieu, qu’il organise des services religieux dédiés à ses membres. Ces cérémonies annuelles somptueuses permettent de rassembler la totalité des membres de l’ordre. Mais à partir de 1805 ces cérémonies disparaissent. George VI, ce roi très conservateur, décide en 1948 de rétablir cette tradition perdue. Depuis cette date, cette cérémonie, qui a lieu chaque lundi de la semaine d’Ascot (en juin), est également l’occasion d’accueillir de nouveaux adhérents. Les membres de l’ordre se rencontrent d’abord au sein des appartements d’État du château, vêtus de leurs habits cérémoniaux et de leurs insignes. Ils entament ensuite une procession, menée par les chevaliers militaires de Windsor, à travers le château pour rejoindre la chapelle Saint-Georges pour le service religieux. Après le service, les membres retournent dans la salle supérieure des appartements d’État, en calèche.
Les habits cérémoniaux sont d’une richesse inouïe. Les vêtements officiels sont véritablement complexes. Ils se composent d’abord du manteau de velours bleu foncé bordé de taffetas blanc avec l’écusson de la croix de Saint George encerclée de la Jarretière sur l’épaule gauche, qui apparaît au XVe siècle. Celui du souverain se distingue par sa traîne. Le chapeau en velours noir avec une plume d’autruche blanche et une plume de héron noir, le collier, la jarretière qui est portée autour du mollet gauche pour les chevaliers et autour du bras gauche pour les Dames, la plaque et l’insigne qui représentent Saint George à cheval terrassant le dragon, font partis de ces vêtements lourds de sens et de luxe.
Un ordre de chevalerie à la symbolique non négligeable, entièrement gouverné par le souverain, appelé à perdurer en somme.
Les membres français (ou d’origine) de l’ordre de la Jarretière, au cours du temps
- Jean de Grailly, captal de Buch (mort en 1376) – nommé en 1348
- Jean IV, duc de Bretagne (1339-1399) – nommé en 1375
- Philippe III, duc de Bourgogne (1396-1467) – nommé en 1422
- Charles le Téméraire, duc de Bourgogne (1433-1477) – nommé en 1468
- François Ier, roi de France (1494-1547) – nommé en 1527
- Anne de Montmorency, duc de Montmorency (1492-1567) – nommé en 1532
- Philippe Chabot, comte de Neublanche (mort en 1543) – nommé en 1532
- Henri II, roi de France (1519-1559) – nommé en 1551
- Charles IX, roi de France (1550-1574) – nommé en 1564
- Francis, duc de Montmorency (mort en 1579) – nommé en 1572
- Henri III, roi de France (1551-1589) – nommé en 1575
- Henri IV, roi de France (1553-1610) – nommé en 1590
- Claude de Lorraine, duc de Chevreuse (mort en 1657) – nommé en 1625
- Louis XVIII, roi de France (1755-1824) – nommé en 1814
- Charles X, roi de France (1757-1836) – nommé en 1825
- Louis-Philippe Ier, roi des Français (1773-1850) – nommé en 1844
- Napoléon III, empereur des Français (1808-1873) – nommé en 1855