Le 29 septembre 2021, les éditions E/P/A publient un nouvel ouvrage sur la reine Elizabeth II. Si les livres qui portent sur la reine sont légions, l'angle d'analyse choisi est cette fois-ci inédit et extrêmement original.
L'auteur Thomas Pernette présente le règne elizabethain à travers les immuables chapeaux de la souveraine. Avec l'illustrateur reconnu Jason Raish, qui vit et travaille aujourd'hui à Brooklin mais qui a été formé au dessin à Séoul, l'auteur nous offre une nouvelle image de près de 70 ans de règne d'Elizabeth II.
Il a accepté de nous accorder une interview exclusive pour nous livrer les secrets des chapeaux de la reine du Royaume-Uni.
[Kévin Guillot] Thomas Pernette, vous êtes journaliste pour le magazine Point de Vue. Spécialiste des têtes couronnées et de l’histoire des monarchies européennes, vous publiez aujourd’hui Elizabeth II, les chapeaux de la couronne aux éditions E/P/A. Votre premier livre analyse le règne d’Elizabeth II à travers ses chapeaux. Pourquoi avoir choisi un tel sujet ?
[Thomas Pernette] C’est d’abord une rencontre avec mon éditeur, Boris Guilbert. Je n’imaginais pas écrire un jour un livre sur Elizabeth II, une telle figure, un quasi-mythe. Tant de biographies ont déjà été écrites. Mais nous avions envie de raconter le règne autrement, avec un beau livre. Les chapeaux se sont très vite imposés comme les témoins de ce règne et comme une fenêtre passionnante sur l’histoire de la monarchie. La reine est chapeautée depuis sa plus tendre enfance ; elle est certainement la femme qui a porté le plus de chapeaux au monde. Certains sont entrés dans l’histoire. Tous disent quelque chose de leur époque, du fonctionnement de Buckingham, des voyages officiels, etc. Ce livre est une invitation à remonter le temps.
Comment avez-vous conçu votre ouvrage ?
Toute la difficulté a été de choisir cinquante chapeaux parmi les centaines – voire les milliers – connus. Il fallait embrasser presque un siècle de vie publique, en n’omettant aucune période de la vie d’Elizabeth II. Je voulais des chapeaux qui racontent les temps forts de la Couronne mais aussi qui plaisent à l’œil, qui soient emblématiques des différents styles. Les pillbox des années 1950, les fleurs des années 1960, les turbans des années 1970… Éplucher les journaux de l’époque a été une source d’émerveillement, notamment la presse féminine et les rubriques modes des quotidiens. On l’oublie souvent mais au début du règne, Elizabeth II est une icône glamour. Les femmes veulent lui ressembler et épluchent la presse, au Royaume-Uni mais aussi dans les pays du Commonwealth. Or, dans les années 1950, tout le monde ou presque porte un chapeau.
"Au début du règne, Elizabeth II est une icône glamour."
Qui sont les modistes de la reine de nos jours ?
Angela Kelly, l’habilleuse en chef de la reine, est celle qui dessine la plupart des chapeaux portés. Elle travaille en étroite collaboration avec Stella McLaren, une modiste de talent, qui a rejoint les équipes de Buckingham après avoir œuvré auprès des plus grands. Mais la tâche est telle que certaines réalisations sont confiées à une autre modiste : Rachel Trevor Morgan qui a son propre atelier à Londres et qui a l’honneur d’être fournisseur de Sa Majesté.
Pour écrire votre livre, avez-vous rencontré les modistes qui ont travaillé pour la reine ?
Je ne peux pas dévoiler toutes mes sources. Je peux juste dire que les personnes qui travaillent aujourd’hui pour la reine sont tenues au secret professionnel. Néanmoins, j’ai eu la chance de m’entretenir avec certains de ces artistes. Je pense par exemple à Marie O’Regan, aujourd’hui âgée de quatre-vingt-seize ans, qui a créé des centaines de chapeaux. Elle m’a raconté de vive voix les coulisses des essayages royaux, comment la reine se comporte dans son intimité. Parmi les témoignages passionnants, je retiens également celui de Sophie Mirman, la fille de la modiste française Simone Mirman, une star à l’époque. Mais il y a eu tant de modistes… Nous avons essayé de mettre en valeur leur talent, leurs personnalités si différentes, notamment grâce aux très belles illustrations de Jason Raish.
Que pouvez-vous nous dire sur le style des chapeaux de la reine ? Ont-ils évolué au cours du temps ?
Depuis le début des années 2000, les formes se sont assagies. Aujourd’hui, la reine porte, à de rares exceptions, le même type de chapeau : une forme hybride à cheval entre le canotier et la cloche, habillée de fleurs, de plumes taillées, parfois d’un nœud. On est loin de l’exubérance du passé, notamment dans les années 1990, une période que j’adore et qui pourtant a été très décriée. Il faut dire que la popularité d’Elizabeth II était au plus bas à l’époque. On se moquait alors des chapeaux de « la reine d’Angleterre », comme on l’appelait encore. Aujourd’hui, tout le monde salue son sens du style, même Anna Wintour. Quelle revanche !
“Ses chapeaux font partie de la culture britannique, comme la Tour de Londres ou Big Ben.”
Pour quelles raisons la reine porte-t-elle des chapeaux ? Par pure effet de style ou pour une raison bien plus politique ?
C’est d’abord le reflet d’une éducation, d’un monde qui n’est plus. C’est aussi devenu un accessoire emblématique de « l’uniforme royal », un style inimitable. C’est une signature. Elizabeth II n’est-elle pas la femme la plus connue au monde ? Ses chapeaux font partie de la culture britannique, comme la Tour de Londres ou Big Ben.
Comment sont choisis les chapeaux de la reine ? J’imagine qu’il y a tout un processus avant qu’un certain nombre de modèles soit présenté à la reine.
Rien n’est laissé au hasard à Buckingham. Tout est prévu de longue date, étudié, mesuré. La garde-robe royale n’échappe pas à cette organisation quasi-militaire. Le choix des tenues de la reine obéit à une double logique : mettre en valeur la souveraine et lui offrir un maximum de confort. Car la vie royale est loin d’être une sinécure et les journées sont longues. Pour ses chapeaux, la reine s’est longtemps prêtée à l’essayage de prototypes, avant que le modiste n’achève sa création. Cette organisation, aussi minutieuse soit-elle, n’empêche pas, quelquefois, le grain de sable dans la machine. C’est aussi ce que j’ai essayé de raconter dans ce livre.
Pouvez-vous nous expliquer plus en détails le rôle politique des chapeaux de la reine ?
Mais qui vous dit que les chapeaux de la reine ont un rôle politique ? La principale intéressée, elle, ne s’y est jamais risquée…
Selon vous, quel est le chapeau le plus célèbre de la reine ?
Le chapeau dit « anti-Brexit » de 2017 est incontestablement l’un des plus célèbres. Le monde y a vu le drapeau européen alors que le pays était en plein divorce avec l’Union européenne. Un chapeau à l’origine d’une affaire d’État, c’était du jamais vu.
Quel chapeau représente le mieux la reine ? Quel est celui qui incarne le mieux ses presque 70 ans de règne ?
Difficile de faire un choix. Pour moi, celui qu’elle porte pour son jubilé d’argent en 1977 est incontournable. Un béret rose à clochettes qui a lui aussi une histoire incroyable. C’est d’ailleurs avec lui que s’ouvre la troisième saison de la série mondialement connue The Crown. Le rose sied particulièrement à la reine. Après sept mois de confinement, quand la reine fait enfin son premier déplacement sur le terrain en octobre 2020, c’est également un chapeau rose qu’elle choisit. Le Royaume-Uni s’extasie alors et le Telegraph titre : « Le rose de Sa Majesté la reine est un spectacle bienvenu. »
“Le chapeau ne se porte qu'à l'extérieur et seulement en journée.”
Elizabeth II n’aime pas particulièrement la mode. Elle la considère comme un uniforme qu’elle s’oblige à porter lorsqu’elle est en représentation. Mais est-ce également sa vision des choses pour ses chapeaux ?
Les chapeaux ont sans doute permis d’exprimer un brin d’originalité, apporter une touche de fantaisie. Mais il est vrai que les Windsor n’ont jamais fait les modes, à l’exception de la princesse Margaret. Le chapeau est avant tout « un substitut de couronne » comme le dit l’historien Robert Lacey. Il doit permettre à la reine d’être vue de tous.
Le chapeau de Lilibet est le même que celui d’Elizabeth II ? Quel chapeau porte-t-elle en privé ?
En privé, la reine aime surtout les foulards, notamment quand elle monte à cheval, ce qu’elle fait encore à son âge dans le domaine de Windsor. Elle va aussi tête nue. C’est d’ailleurs tête nue qu’elle reçoit le Premier ministre, les ambassadeurs, etc. Le chapeau ne se porte qu’à l’extérieur et seulement en journée.
Pour finir, quel chapeau de la reine préférez-vous ?
J’ai un faible pour le pillbox fuchsia qu’elle arborait pour l’inauguration du Tunnel sous la Manche en 1994. J’avais neuf ans à l’époque et c’est le premier grand évènement dont je me souviens. C’est aussi mon premier souvenir d’Elizabeth II. Je la regardais à la télévision, fasciné, aux côtés du président Mitterrand. Or, vingt-sept ans plus tard, j’ai pu échanger avec la modiste qui avait imaginé ce chapeau et s’en souvenait comme si c’était hier. Nous avons tous des souvenirs d’Elizabeth II et de ses chapeaux. Eux aussi font partie de l’histoire.
Je transmets mes plus chaleureux remerciements à Thomas Pernette qui a bien voulu m'accorder cette interview.
Je remercie également les éditions E/P/A qui m'ont autorisé la publication de dessins inédits de Jason Raish présents dans le livre.
Thomas Pernette, Elizabeth II, les chapeaux de la couronne, éd. E/P/A, 2021
Illustrations © Jason Raish
En librairie dès le 29 septembre 2021.